samedi 12 avril 2025

Menaud. (Yvanne)

 


Mais enfin c'est quoi cette carabistouille ? Je vais chercher la définition de bistouille sur gougueule. On me dit : mélange de café et d'eau de vie (mauvaise eau de vie d'ailleurs  et ce n'est pas moi qui le dis!) dans le ch'nord et en Belgique. J'en demande un peu plus - toujours à « je sais tout «  et il m'annonce : bistouille, synonyme ratafia. Ça ne va pas du tout du tout. Le ratafia, est-il précisé, est une boisson obtenue par macération de végétaux ou de fruits dans l'alcool. En l'occurrence chez moi on obtient le ratafia avec du raisin et de l'eau de vie. Le café a proprement disparu. Peut être reste-t il le marc pour la cafédomancie ? Pour y voir un peu plus clair ?

Bref. Laissons la bistouille à ses amateurs. Parlons plutôt du champoreau. Je connais cette mixture depuis l'enfance. Quoi ? Vous pensez peut être que ma maman ne m'a pas nourrie au sein mais à la bibine ? Que nenni ! Si j'ai été au parfum très tôt avec le champoreau c'est à cause de Menaud.

Ah Menaud ! Un poème Menaud ! C'était le facteur de ma commune dans les années 50. Je ne sais pas et je n'ai jamais su son nom de famille. Tout le monde l'appelait Menaud ou facteur. Pourquoi Menaud ? Tout simplement parce qu'il habitait près de la Menaude, une petite rivière qui serpentait dans la vallée, au bas de la colline. Le bourg et donc le bureau de poste se situaient tout en haut d'une bonne montée. C'est là où j'ai passé mon enfance. Sur cette même colline.
Menaud grimpait allégrement ses 5 kilomètres de côte tous les matins, été comme hiver, qu'il pleuve, qu'il vente, qu'il grêle ou qu'il fasse une chaleur terrible. Évidemment le soir, pour rentrer chez lui c'était plus facile d'autant qu'avec tous les canons enfilés tout au long de sa tournée, il avait l'humeur joyeuse et les mollets aguerris. Mais ça c'était après le boulot.

L'homme portait, quelle que soit la saison son uniforme composé d'un pantalon bleu marine, d'une veste de même couleur agrémentée de boutons dorés bien astiqués. Et par dessus, suivant le temps, une grande cape qui lui descendait jusqu'aux chevilles. Menaud était sérieux, fier de son travail de postier et il fallait le voir poser crânement sur sa tête son képi gansé de rouge  avant de commencer sa distribution. Pas le genre du facteur de Tati. Plutôt austère le matin le bonhomme.

Alors, me direz-vous quand vas-tu nous parler du champoreau ? J'y viens ! J'y viens !

Après avoir effectué son tri, garni ses sacoches de courrier, compté les sous des allocs ou autres mandats des veuves de guerre etc...argent qu'il rangeait consciencieusement dans sa musette portée en bandoulière, Menaud se rendait au bistrot pour prendre son casse-croûte.

Et c'est surtout là que je pouvais l'espionner à l'aise quand j'allais acheter le gris ou le job de mon pépé ou les boîtes d'allumettes pour démarrer le feu, le bistrot faisant office de bureau de tabac. J'y allais aussi quand ma grand-mère avait perçu la veille sa pension de veuve de guerre - justement - Oh, une pension rachitique ! Parce que ma grand-mère avait eu la bonne idée de se remarier avec Pascal-Etienne (dont je vous ai déjà parlé il y a peu) sinon je ne serais pas là en train de vous raconter ma vie. Comme Joe ? Figurez-vous que ma mémé plaçait les dits sous dans la limonade. Ben oui. Elle m'envoyait au bistrot en acheter deux bouteilles. Vous pensez bien que je n'allais pas rater ça : une bonne rasade de limonade pour ma commission. Je n'oublierai jamais ces petits plaisirs d'enfance : ils n'étaient pas si nombreux.

J'allais faire les courses le matin avant l'école et je trouvais Menaud occupé à se sustanter avant d'attaquer son travail. Il sortait de son sac une serviette à carreaux qu'il dépliait délicatement sur sa table. Elle contenait des radis au printemps. Que c'était beau ces petits croquants roses et blanc et vert ! Ils me faisaient envie moi qui n'en mangeais jamais. Il n'y en avait pas dans notre jardin familial. Menaud les trempait dans un bol de sel que lui avait fourni Solange, la patronne des lieux. Il les accompagnait d'un verre de vin. A la fin de sa collation il réclamait du café qu'il versait dans son verre de rouge. Je voyais bien qu'il adorait ce breuvage. Quelquefois pour me taquiner il me tendait sa boisson en disant : « tu veux un petit coup de champoreau petite ? «  Il n'en fallait pas plus pour que je détale, un peu honteuse de m'être plantée devant lui tout ce temps pour l'observer.

J'ai aimé tous ces personnages de mon enfance. Ils étaient naturels, avec pour chacun une petite particularité qui ne m'échappait pas. Ils m'ont tous aidée à grandir dans ce village que je porte dans mon cœur.

  

6 commentaires:

  1. Ah, ce temps béni où la poste était encore un service à la population, avec des facteurs qui aimaient la parlotte (et les petites gouttes) et pas une entreprise à rentabiliser à tout prix !

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  2. Je ne suis effectivement pas ici pour raconter ma vie mais je trouve que tu racontes merveilleusement bien la tienne ! Un régal que ce portrait de l'humanité d'antan !

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    1. Comme Joe ! Et, enfant de la ville, je me souviens quand j'allais acheter les Gauloises (sans filtre, surtout !) au tabac du coin de la rue... et que tout le monde trouvait ça tout à fait normal !,)

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  3. memoire vif argent , rien ne s'oublie tant que nos liens nous relient

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  4. Comme c'est joli quand tu racontes la vie d'avant

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  5. Superbe.< i> Travaillez, prenez de la peine, c’est le fonds qui manque le moins. Yvanne tes souvenirs, comme celui de Menaud, ici, sont vraiment des trésors. Dis-nous les encore, toujours, on aime. Merci.

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Je leur tire mon chapeau

        Walrus ; TOKYO ; Marie Sylvie ;