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samedi 18 octobre 2025

Elle voulait voir sa mer. (Yvanne)

  


En cette fin d'après midi, tout le monde chez Nana cherche Ronchonchon. Chacun s'interroge. Mais où est-il allé avec son vélo ? Il est parti depuis le matin, très tôt. Au poulailler, ça caquette, ça jacasse, ça glousse... On se concerte, on suppute.

Enfin, au grand soulagement de tous, le voilà qui arrive, tirant la langue, soufflant comme un bœuf et complètement à plat après tout ce trajet en traînant sa bécane.

- Scrogneugneu de scrogneugneu j'en peux plus ! Ah si je le tenais le mec je le ferais bruxeller moi, foi de cochon !

De qui parle t-il ? La basse cour est en émoi. Quel est le trublion qui a mis leur Ronchonchon dans cet état ?

Ses favorites, Monette et Simone se précipitent, l'une avec une serviette éponge bien moelleuse, l'autre avec la friandise préférée du cochon : quelques mouillettes baveuses de jaune d'œuf. Le voilà vite requinqué, prêt à regagner sa botte de paille pour une nuit paisible. Les poulettes cependant, ne dorment que d'un œil, craignant pour leur soyeux bien aimé. Soudain, elles se poussent de l'aile. Ont-elles bien entendu ? Pas de doute possible. A plusieurs reprises, le goret grogne dans son sommeil les mots « cocotte universelle, Suisse ». Qu'est ce que ça peut vouloir dire ? Elles lui demanderont le lendemain à la première heure.


Au chant du coq, Monette et Simone, curieuses et intriguées, font un vacarme épouvantable pour réveiller Ronchonchon. Quand enfin il émerge, elles lui servent un bon petit déjeuner avec empressement. L'animal n'est pas d'humeur au saut de sa paillasse et elles le savent. Elles sont tellement avides d'en apprendre davantage que, malgré tout, elles l'abreuvent de questions au sujet de sa somniloquie.


Mal leur en prend : le cochon se met dans une colère noire et reste muet. Les poulettes ne capitulent pas pour autant. Elles sont tenaces. Voilà qu'une idée jaillit de derrière leur crête.

En chœur elles interpellent Ronchonchon. C'est Monette qui s'y colle en premier.

- Mon ami, il faut que tu répares ton vélo au plus vite. Nous devons aller en Suisse.

- Hein ? Quoi ? En Suisse ? Qu'est ce que vous voulez aller faire en Suisse ?

- Mais enfin Ronchonchon tu sais bien que Simone est née à Genève. Et puis, nous avons quelques économies avec la vente de nos œufs. Il serait bon de mettre un peu d'argent de côté par les temps qui courent. Nous irions à la banque...

  • J'ai envie d'aller voir la mer, moi ajoute Simone. Comme l'autre petite poule, là. Mais évidemment tu ne connais pas l'histoire de la petite poule qui voulait aller voir la mer. Ignorant ! Tu n'écoutes pas quand je lis à voix haute aux enfants le soir.

  • Elles me feront tourner en bourrique. Complètement folles ces femelles ! La mer ! En Suisse ! Pffff !

  • Ben oui. Parfaitement. Et le Léman alors ? C'est ma mer à moi riposte Simone. Et je veux y aller demain.


De guerre lasse, le cochon a changé la roue de sa bicyclette.

Le jour suivant, tout le monde en selle ! Pendant que Ronchonchon pédale, les poulettes se serrent l'une contre l'autre sur le porte bagage . Elles ont caché sous leurs ailes des paquets de billets. On les dirait prêtes à s'envoler tant elles sont gonflées.

Dans la corbeille à l'avant, ils ont placé quelques sandwichs préparés par Nana , les euros ont remplacé le camembert dans certains parce que Monette, très prudente, a dit qu'il ne fallait pas mettre tous ses œufs dans le même panier.


Arrivés à la douane, Ronchonchon, la tête dans le guidon, essaie de passer discrètement. Pas de chance : surgit d'une guitoune un énergumène aux bacchantes fournies et aux joues fleuries. (Ne doit pas sucer que de la glace celui là pensent les trois voyageurs)

- Halte ! Qu'est ce que vous avez à déclarer ?

- Rien. On va voir la mer euh.. le lac Léman.

Le douanier les observe en se caressant le menton. Il s'apprête à les laisser passer quand tout à coup il s'exclame :

- Hé, vous, les deux poulettes, qu'est ce que vous avez sous les ailes ?

- Nous ? On emmène nos poussins à la plage. Chut ! Ils dorment.

- Allez, circulez. Il ne sera pas dit qu'un gabelou suisse a des idées pédophiles.



 

samedi 11 octobre 2025

C'était gonflé ! (Yvanne)


- Salut Paulo ! Tu as crevé ?
- Oui Jacky. Juste là, en bas, à Chèvrecujol. J'ai pris une pointe. J'avais peur de ne plus avoir de quoi réparer...Çà ira pour aujourd'hui. Bah ,un pneu de plus, un pneu de moins... ! C'est fait. Il faudra que je pense à me fournir en matos avant de prendre le vélo à nouveau. Heureusement c'était pas trop loin de la maison...
- Tiens, ça me rappelle un truc. A propos de rustine. Quand j'étais minot, un jour, mon frère aîné m'a demandé d'aller chez l'épicière du village pour lui en acheter une boîte. Et de la colle.
- Et alors ?
- Tu sais comment elle était la mère Finot ! Curieuse comme une chatte. Elle a commencé par me regarder d'un air soupçonneux et m'a dit : tu veux en faire quoi des rustines ? Tu n'as pas de vélo. Je lui ai répondu que c'était pour mon frère.
- Ton frère avait un vélo ?
- Non.
- Ben alors...
- Je savais pas quoi inventer. Parce que bien sûr je ne lui avais pas posé la question de savoir à quoi devaient servir les trucs.
- Ah je suis curieux : tu es reparti ou bien...
- Non non. Ça m 'est venu comme ça. J'ai expliqué à la Denise que mon frangin devait réparer sa bouée. Elle a bien vu que je n'étais pas à l'aise. M'enfin elle m'a filé la boîte et un tube de colle.
- Et tu les as portées à ton frère ?
- Oui. J'en ai profité pour lui demander ce qu'il avait à rapiécer. Il m'a tourné le dos en criant que ça ne me regardait pas. Oh, je me suis dit : toi tu me caches quelque chose.
- Ah ah ! Je te vois venir ! Tu as fouillé ?
- J'ai attendu que Jacquot soit au boulot. Parce qu'il était interdit d'entrer dans sa chambre. Et j'ai cherché partout dans sa tanière. Rien.
- Tu as lâché l'affaire alors ?
- Penses-tu ! Je sentais qu'il y avait anguille sous roche. Comme je le voyais souvent aller dans la grange discrètement je suis parti jeter un coup d'œil et j'ai trouvé.
- Quoi ?
- Sous du foin fraîchement remué, j'ai déniché un carton.
- Tu l'as ouvert ?
- Au point où j'en étais, bien sûr !
- Et alors ? Il y avait une bouée dedans ?
- Mon frère est un peu frapadingue mais pas à ce point. Qu'est ce qu'il aurait fait d'une bouée : il a peur de l'eau. Non. Bien mieux que ça.
- Oh ?
- Il y avait un mannequin en silicone. Soigneusement rustiné à un endroit critique.
- Sans blague !
- Ben ouais. Mon frère était à la colle avec une poupée gonflable.

  




samedi 4 octobre 2025

Hier et aujourd'hui. (Yvanne)

 




Chez les parents de mon époux il y avait sur la cheminée de la salle à manger un portrait de mémé Marguerite filant la laine. Cette brave femme était la grand-mère paternelle de mon mari. Son fils – mon beau père donc – qui était violoneux - chantait ceci  en occitan bien sûr en s'accompagnant de son violon. Voici la traduction :

La Margui va au moulin
Tout en filant sa quenouille de chanvre
Montée sur son âne Marilin trin trin
Marilan tran tran
En allant au moulin.

Quand le meunier la voit venir
De rire il ne peut se tenir.
Attache ton âne Marilin trin trin
Marilan tran tran
Et viens t'asseoir ici.

Pendant que le meunier
Embrassait la Margui
Le loup mangeait l'âne Marilin trin trin
Marilan tran tran
A la porte du moulin.

Bougre de meunier tu m'embrassais
Mais ma mule en est crevée.
Que va dire notre homme
En arrivant chez nous ?

J'ai cinq écus dans mon gousset
Prends en deux, laisse m'en trois
Vas t'en acheter un autre âne
Pour venir au moulin.

Quand son homme la voit venir
De se fâcher il ne peut se retenir
Qu'as tu fait de notre âne
En allant au moulin ?

Notre âne avait les quatre pieds blancs
Les deux derrière, les deux devant
La raie du cul noire
Ça lui allait si bien !

Bougre de lourdaud
Ne sais tu pas qu'au mois d'avril
Toutes les bêtes changent de peau ?
Ainsi a fait notre âne
En allant au moulin.

Evidemment la chanson n'a pas la même saveur quand elle est traduite.

Hier, pour confectionner des vêtements, on filait la laine avec quenouille et fuseau dans les chaumières.
Aujourd'hui, pour remplir nos placards, on compose avec la Chine et on file du mauvais coton.




samedi 27 septembre 2025

Été auvergnat. (Yvanne)

 

Encore une journée caniculaire en ce mois de juillet. Émilie profite de quelques jours de vacances chez ses parents en Auvergne. Bastien, son compagnon lui manque, c'est vrai et elle pense constamment à lui, obligé de travailler à Paris. Pas de congés pour lui cette année. Son nouvel emploi à la banque ne lui a pas permis de la suivre dans le Cantal. Dommage. Mais elle est bien décidée à tirer le meilleur parti de ses deux semaines pour récupérer après la vie parisienne trépidante.

Comme chaque après midi, la jeune femme prépare son sac à dos en y enfouissant une serviette de bain, un livre, un fruit et son téléphone. Elle longe la rive d'un ruisseau qui serpente tranquillement à travers les prairies. Les belles Salers la regardent passer en ruminant. Écrasées de chaleur, elles ont choisi l'ombre des aulnes et des chênes pour se reposer.

Émilie rejoint rapidement la petite cascade qui dévale les rochers en surplomb pour se jeter en bouillonnant dans la rivière. Comme il fait frais ici ! C'est un vrai paradis pense la jeune femme en exhalant un soupir de satisfaction. Elle connaît cet endroit depuis l'enfance. Il était déjà son refuge quand elle avait besoin de solitude.

Alertée par un cri aigu, elle tente un regard au dessus des arbres mais les rayons d'un soleil ardent lui font de l'œil à travers les ramures. Elle pose machinalement en visière ses mains croisées sur son front. Ainsi elle peut mieux observer le vol d'un milan royal qui plane dans le ciel pur avec souplesse et majesté. Admiration. Émotion. Quiétude. Amour inconditionnel de la Nature. Émilie est submergée par une vague de bonheur intense.

Elle atteint bientôt son coin rien qu'à elle, son havre de paix, Au pied de la cascatelle, une baignoire naturelle a été façonnée par des siècles de déferlement d'eau. Elle pose son sac, se déshabille promptement et plonge dans ce bassin accueillant. Comme toujours elle frémit au contact presque glacé de la source. Très vite, elle s'ébat avec délice dans l'onde stimulante.

Après son bain vivifiant , Émilie étale sa serviette sur la mousse. Elle est enivrée par les effluves de menthe sauvage piétinée tout autour. Elle ne tarde pas à s'endormir sur son livre grand ouvert.

Un grondement soudain la tire de son sommeil. Elle se redresse, ne sachant plus trop où elle se trouve. Reprenant ses esprits, aux aguets, elle constate avec effroi que l'atmosphère sereine qui régnait il y a peu a subitement changé. De gros nuages noirs et menaçants courent au dessus d'elle emportés par un vent tourbillonnant. Les arbres se courbent sous la violence des rafales. Même la cascade semble s'être mise à l'unisson et rivalise avec le tonnerre pour produire un fracas assourdissant. Des éclairs fulgurants, blancs ou violacés fendent l'horizon et se perdent. L'orage atteint son paroxysme quand une pluie serrée s'abat sur le sol. Émilie ramasse promptement ses affaires et se réfugie dans un encorbellement de la roche d'où elle peut admirer en temps ordinaire le Puy Mary.

Au bout de quelques minutes, le silence. Tout redevient calme comme s'il ne s'était rien passé. Seules quelques gouttes s'échappent des feuilles et tombent mollement sur le sol. Le soleil reprend sa place là haut, auréolé de minuscules nuages pâles qui disparaissent bientôt.

Cheminant vers le village, Émilie regarde, loin devant elle, des langues de brume vaporeuses et mouvantes partir en rampant à l'assaut du Puy Mary.

 

  

samedi 30 août 2025

Solitude. (Yvanne)

 

  

M'informant sur le défi de cette semaine j'ai constaté que la traduction du tag mural photographié par Walrus en Italie ne fait même interprétation pour lui et pour Kate. Du moins en ce qui concerne la lettre « e ». Avec un accent en l'occurrence. Ce qui fait toute la différence.

De même que le fils de Walrus a un ami (e) à Brive la Gaillarde, il se trouve que j'ai moi-même une amie qui réside à Florence depuis 50 ans. Qui de mieux placé pour éclairer ma lanterne ? Je vais dès maintenant lui demander ce qu'il en est exactement pour démêler le vrai du faux. Ah mais !

En attendant, j'ai envie de donner mon sentiment pour chacune des interprétations. En toute modestie bien sûr (je ne suis pas psy quelque chose). Ceci est juste mon ressenti.
Si je dis : « je suis seul et triste «  j'exprime un état psychologique s'appliquant directement à ma personne. Sans qu'il y ait forcément un lien entre les deux états.
Si je dis : « je suis seul, c'est triste » cela induit plutôt une généralité selon laquelle la solitude engendre la tristesse.

Voilà la réponse de ma copine d'enfance : « sono solo è triste » tel que la photo de Walrus le représente veut dire : « je suis seul, c'est triste. » Comme ça c'est réglé . Ouf, une bonne chose de faite !

Je sais. Je sais : le diable a la bonne habitude de se camoufler dans les détails. Laissons le jouer les malins. Voyons plutôt si la solitude génère de la tristesse. Eh bien non. Pas pour moi en tout cas. J'aime être seule. Je dirais même plus : j'ai besoin souvent d'être seule.

Avec la solitude je cherche avant tout le silence. Enfin un certain silence. Celui d'un environnement naturel excluant la présence humaine. Oui. Je suis un peu sauvage et je le revendique.

Quand l'envie me saisit d'être en tête à tête avec moi même, je prends mon sac à dos et je me réfugie dans mes bois préférés : les Saulières. Il me plaît de penser que le nom lui même signifie « seul ». D'ailleurs les moines qui vivaient dans le prieuré qui se cache dans ces forêts l'écrivaient : « hic soli sumus ». Ce sont eux qui ont baptisé ces lieux privilégiés que j'aime. Dont acte.

Cheminer sur les nombreux sentiers, quelle que soit la saison, me donne une profonde impression de liberté. Je ne pense à rien. J'écoute. J'observe. Cette solitude m'apaise et j'en tire des bienfaits aussi bien pour le corps que pour l'esprit. Mais évidemment cette solitude là est choisie...

 

samedi 16 août 2025

Renaissance. (Yvanne)

    


Tu éclos avec le printemps


Un jour de vif et grand soleil.


Les pétales érigés fièrement


Illuminent tes coloris sans pareil


Prodiguant au tableau soyeux


Élégance et ravissement des yeux.



 

samedi 9 août 2025

Cledat (Yvanne)

  

 

  

 L'image proposée par Walrus cette semaine m'amène à vous parler

d'un village insolite de Corrèze, blotti dans un chaos rocheux où les croix surmontant les rochers, moins impressionnants que celui-ci certes mais tout aussi authentiques, ne manquent pas.


Clédat



J'ai découvert le village de Clédat tout à fait par hasard un dimanche d'octobre dans les années 80.


Nous étions partis pour une chasse aux cèpes dans les forêts du massif des Monédières en lisière du plateau de Millevaches. En longeant la bordure d'une piste forestière, soudain m'est révélée comme dans un songe une clairière parsemée de multiples roches et de murailles. Je me suis approchée. Pas un bruit. Seul le souffle léger du vent berçait doucement la masse des sapins qui entouraient les lieux. J'ai su alors que devant moi se dévoilait Clédat. Je n'ai été qu'à demi surprise ayant déjà entendu parler de son existence par des amateurs de vieilles pierres dont je suis.


J'ai pénétré dans le village en ruines. Il y régnait une atmosphère surprenante de solitude bienveillante. J'ai compris que Clédat m'accueillait favorablement et j'en ai ressenti une joie étrange. Pas d'envoûtement non mais une sensation de plénitude bienfaitrice.


Une petite chapelle romane se tenait à l'orée. Bien qu'à moitié démolie, sa cloche encore suspendue semblait veiller sur le site.

Sur un rocher devant la porte était plantée une croix aux jolies formes. Des chaumières et des granges éventrées, sans toit, émergeaient parmi des gros blocs de pierre arrondis par des milliers d'années d'érosion. La Nature avait envahi et recouvert de ronces et de mousse les bâtiments effondrés, les chariots en bois et les vieux outils abandonnés dans les charrières.


Je me suis promenée tranquillement dans le village plongé dans un silence invitant à la méditation. J'imaginais les vies minuscules de ses habitants contraints de l'abandonner leur étant impossible de se confronter à la modernité ambiante. Pas de routes. Pas de commodités. Seules des voies caillouteuses et étroites permettaient de rejoindre les hameaux voisins. Les gens vivaient dans une autarcie presque permanente.


Les prés et les champs, désormais inutiles, arrachés jadis laborieusement à la bruyère et à la lande par le travail acharné des hommes laissaient désormais la place à des forêts de conifères. Elles encerclaient l'endroit désert sans toutefois l'étouffer complètement. Clédat respirait encore, même tombé dans l'oubli. Quelques feuillus centenaires, plantés ça et là dans le village faisaient encore la nique aux résineux qui se voulaient envahissants.


Point trop de mystère ici pour moi, même si la Nature sauvage avait repris ses droits. Clédat m'était apparu comme un village assoupi, au repos et non complètement éteint. En me penchant sur sa fontaine, j'ai senti que son cœur était là, caché dans cette source qui avait alimenté de son eau vivifiante les villageois. Et j'en étais heureuse. Je savais que Clédat allait émerger un jour de son long sommeil. Je ne m'étais pas trompée. La suite de sa belle histoire datant du 12ème siècle m'a donné raison.

 


 

samedi 2 août 2025

Des vacances de ouf. (Yvanne)

  

 

Ras la casquette des vacances chez papy-mamie ! J'ai douze ans quand même. Je suis plus une gamine. Je crois dur comme fer qu'en plus, ils se passeraient de moi. Je le vois bien et je ne fais rien pour arranger les choses. Tant pis pour eux. Je boude. A longueur de journée je boude. Qu'est ce que je peux faire d'autre ?


Je réponds plus aux messages de Manon qui chille sur la plage dans le sud. Elle flambe pour m'épater la gueuse. Je la tej à la rentrée cette meuf mitho 'toute façon. Je peux pas appeler Emma : elle est aux US avec sa famille. Ils sont pétés de tunes ceux là mais ça va : Emma n'est pas iench : elle partage.


Alors j'attends que ça se passe à Bérouet les Bains (c'est moi qui appelle ce trou du c. comme ça) Mais c'est le bagne . Si je reste au lit le matin pour que le temps passe plus vite mamie entr'ouvre la porte de ma chambre dix fois. Pour voir si je suis pas morte. Quand je finis par ouvrir un œil elle fait celle qui est désolée. Elle m'agace. Mais elle m'agace !


Je me lève. Un petit déjeuner ENORME trône sur la table de la cuisine. Et elle me beurre des tartines. Et elle me coupe deux morceaux de brioche qu'elle nappe d'une épaisse couche de confiture. Elle sait pourtant que je n'avalerai rien. Je veux pas devenir une vache. J'ai beau lui dire que c'est du gaspillage. Qu'il y a des enfants dans le monde qui n'ont rien à bouffer. Peine perdue. Elle me trouve maigre .

- « Il faut que tu te remplumes ma chérie. Je me demande ce que vous mangez à Paris. .

  • D'abord mamie on n'habite pas à Paris. Et ma daronne cuisine.

  • Ta quoi ?

  • Ma mère.

  • Tu veux être polie Cloé ?

  • Mais c'est pas un gros mot mamie. Tout le monde parle comme ça.

    Je veux pas dire mais ils sont bolosses mes vieux quand même. J'ai pas le choix. Il faut que je « sois  mignonne » comme ils me serinent à longueur de journée si je veux aller au village cet aprèm.

  • Tiens voilà encore l'autre qui passe et repasse avec sa bécane devant le jardin. Il est chelou celui là. Askip c'est « une tête ». Il peut bien me calculer. M'en tape. Je le trouve trop moche avec ses grosses lunettes, on dirait un têtard à hublots.

Bon. Ils sont gentils mes grands parents et je les kiffe bien. Mamie m'a donné du flouze ce matin et papy m'emmène au village après sa sieste. C'est trop stylé ! Il y a un trampoline géant au parc. J'adore. J'arrive à rebondir très haut. Ah mais voilà l'intello !

  • Salut ! Tu veux que je t'envole ?

  • T'es Goldman toi ? Non. Alors dégage. Tu me bouches la vue. Et déjà qu'elle est pas belle !


Lexique :

  • Chiller : prendre du bon temps.

  • Flamber : se vanter.

  • Tej : jeter.

  • Mytho : menteuse.

  • Iench : chienne.

  • Bolosse : naïf.

  • C'est trop stylé : c'est trop bien.

 

samedi 26 juillet 2025

Sensualité. (Yvanne)

 

 
 
 

Rubens aurait-il pu peindre ce tableau ?
Non. Il préférait les nus.
Mais il aurait aimé ces chairs pulpeuses.
Dans ce cadre s'épanouissent les trois Grâces,
Un verre de vin rouge ou blanc à la main.
Normal pour des filles de Bacchus !
Ce sont les déesses de la beauté.
Normal pour des filles de Vénus !
Qui est Thalie , personnifiant l'abondance ?
Celle qui porte une robe écarlate sans doute,
La plus dodue, la plus opulente.
Qui est Aglaë la brillante, la lumineuse ?
Celle dont la chevelure rousse flamboie,
Vêtue aux couleurs du ciel et de l'océan.
Qui est Euphrosyne l'espiègle, la joyeuse ?
Celle que le rire fait ployer mollement.
Au zénith de l'élégance en toilette rose poudré.

Peintres et sculpteurs ont célébrés les Charites
En leur donnant des silhouettes harmonieuses.
Nicky de Saint Phalle a cassé les stéréotypes

En osant les Nanas, créatures voluptueuses
Colorées, fantasques et décomplexées.
Un hommage à la femme libre de tout carcan.

Je me suis autorisée à voir dans ce vitrail
Tout simplement un clin d'œil à la féminité.
Sous toutes ses formes.


samedi 19 juillet 2025

Le coq et l'horloge à balancier. (Yvanne)

   


Depuis quelques jours, je suis intriguée par la présence chez ma voisine, d'un coq décati, à la crête mitée, qui se pavane dans la cour au milieu de ses trois poules. Comme personne n'ignore que Carmen vit pratiquement de la générosité des uns et des autres, je me demande qui a eu l'indélicatesse de lui donner un volatile aussi famélique.

Carmen est une vieille réfugiée espagnole qui a toujours mis un point d'honneur à ne pas parler correctement le français et à ne pas remercier quand on lui apporte de quoi se nourrir. Je n'aime pas aller chez elle : elle ne fait guère d'efforts pour être aimable et sa conversation reste volontairement limitée. De plus, on la dit un peu sorcière. Sorcière, je ne sais pas mais un peu folle ça ne fait aucun doute. Ma curiosité l 'emporte : d'où vient ce drôle de coq ? Je me saisis d'une part de tarte - pour une pâtisserie elle daigne ébaucher un sourire édenté – et me dirige vers sa maison.

Un poème le logis de Carmen ! Elle vit carrément avec sa volaille et les crottes jonchent le sol, les chaises et même la table de la cuisine. Et l'odeur...
Derrière moi, entre le nouveau pensionnaire qui me fixe d'un œil torve.

    • Bonjour Carmen ! Il n'a pas l'air commode ton coq ?

    • C'est mon Julio. Je l'ai trouvé dans le fossé. L'avait peur, le pauvre ! Une bête qui n'a pas eu le temps de le manger sans doute. Il est beau, non ? Et il chante bien. Comme le Julio de mon pays, tu sais ! Tu le connaissais hein ? Mon Dieu, il est mort : il était si beau !

Pour ça, il est beau ce Julio là ! Complètement déplumé, le cou nu et décharné. Un vieux beau quoi ! Et là je ne parle pas du coq !

    • Il se plaît chez moi. Il est réglé comme une horloge. Le matin, il me réveille puis il s'occupe de mes petites. Mais juste à midi, il vient ici et...tu vas voir !

Douze coups sonnent justement à la vieille pendule. Julio, qui traînait par là, au fond de la salle sombre se redresse. Il se campe devant la comtoise en noyer, perché sur ses ergots. Les ailes en éventail, ses quelques plumes jaunâtres gonflées, la tête en avant et le cou tendu, il se lance. Le bec pourfendeur, il attaque et charge. Et vlan ! Heureusement, il ne pèse pas lourd sinon, il ferait trembler la caisse de l'horloge. Et son cri : un râle rageur !

La pendule égrène à nouveau ses douze coups. Et ô surprise ! Julio change complètement de procédé. Cette fois, il s'approche, fier, arrogant, bombant son torse maigre. Il arrondit son aile droite sur sa patte étirée, baisse la tête comme pour une révérence et coquerique. Puis il passe dignement devant nous et s'éloigne. Étrange ! Les coqs, que je sache, ne sont pas coutumiers de ce genre de comportement.

    • Mais il est fou ton coq, Carmen !

    • Non, il est pas fou. D'abord, il se bat puis il fait sa cour. C'est comme ça depuis qu'il habite chez moi.

    • C'est une boutade ! Pourquoi tout ce cinéma devant ta pendule ?

    • Ah ! Tu vas comprendre pourquoi !


Carmen me conduit devant la comtoise, frotte un peu le fond de la gaine avec sa manche pour ôter la couche de poussière. Je découvre alors, criblée de coups de bec, une peinture représentant un superbe coq au plumage chatoyant, à la crête et aux barbillons rouge-sang et à la queue en panache. Il surveille, l'air possessif, une petite poule grise et ses poussins, indifférent, tout comme sa compagne affairée, d'abord aux assauts intempestifs puis ensuite aux tentatives de séduction de leur congénère efflanqué mais tout de même en chair et en os, lui !

Je ne peux m'empêcher de trouver le tableau cocasse : un coq avec ses tactiques et une pendule avec ses » tic tac » animent curieusement la cuisine de ma voisine. Qui ne s'en étonne même pas.

 

samedi 12 juillet 2025

Chaud froid. (Yvanne)

  

  • Tiens te voilà Jacky ! Tu ne viens pas me parler de Louis j'espère ?

  • Il faudra bien pourtant que je te raconte ma visite à la maison de retraite.

  • Pas la peine. Je t'ai déjà dit que ça ne m'intéresse pas.

  • T'inquiète. Ce n'est pas le sujet du jour. Tu as reçu une carte de Brigitte ?

  • Brigitte ? Celle de Macron ?

  • Peuh ! N'importe quoi ! Brigitte. La présidente. Notre présidente. De notre association « Cavadou et Truffadou ».

  • Ah mais c'est ta copine. Pas la mienne. Ça risque pas qu'elle m'envoie des mots doux.

  • Des mots doux ! Jaloux va ! Si t'étais moins sauvage aussi. En plus tu ne viens jamais aux réunions.

  • Pour faire quoi ? Du blabla ces séances. Vous avez tous la réunionite aiguë. Et du temps à perdre.

  • Tu penses ce que tu veux. Tu es bien content quand elles aboutissent à quelque chose qui profite à tous.

  • Ouais. Tu me fais la morale là ? Viens plutôt boire un café.

  • C'est pas de refus. Le temps s'est rafraîchi.

  • Alors qu'est ce qu'elle te raconte Brigitte ?

  • Figure toi qu'elle est allée à Gotland.

  • Au Groenland ? Qu'est ce qu'elle est allée fiche au Groenland ? Il y a des truffes au Groenland ?

  • Elle a passé une semaine sur l'île de Gotland. C'est en Suède. Et tu ne crois pas si bien dire. Oui on y ramasse des truffes imagine toi. Et des belles il paraît à Gotland.

  • Y en a pas assez chez nous des truffes ? Et certainement bien plus parfumées.

  • Elle a été invitée à un séminaire sur la culture de la truffe par le « Gotland Tryffel Akademi ». Ces échanges étaient très intéressants écrit-elle. On lui a posé beaucoup de questions sur notre champignon. Je crois qu'elle a rendu la politesse : à Noël nous recevrons le président de leur comité.

  • Mais dis donc qui paie tout ce tralala ?

  • Ce sont des échanges . C'est important les échanges. Tu ne vas pas mégoter là dessus tout de même ?

  • Voilà où passe l'argent des cotisations ! Alors que nous aurions besoin de prospecter pour trouver plus de marchés pour écouler nos tubercules quand il y a abondance.

  • Grincheux ! On les écoule facilement nos truffes. Inutile d'engager des frais pour rien. Tu ne vas pas te plaindre si ? C'est toi qui en vends le plus sur le marché de la Guierle à Brive. Regarde plutôt la belle photo que Brigitte vient de m'envoyer sur Whatsapp. Elle a prolongé son séjour à Kiruna pour dormir dans un igloo et voir les aurores boréales. Et à ses frais Monsieur ! Elle est belle hein ?

  • Qui ? Brigitte ? Moi je préfère les chiens.

  • Je te parle de la photo imbécile !

 


 

  

samedi 5 juillet 2025

Pacifier la situation. (Yvanne)

 


  • Paulo, il faut qu'on s'occupe de Louis.

  • Qu'est ce que tu racontes. Tu es tombé sur la tête ? Moi ? M'occuper de Louis après toute la misère qu'il m'a mise ? T'es malade !

  • Écoute Paulo. On n'est pas blancs comme neige toi et moi. On a des torts. Alors il faut passer l'éponge. Je vais aller le voir cet après midi à la maison de retraite.

  • Hein ? Tu vas voir Louis ? Il est fou...Tu es fou.

  • Oui, je vais voir Louis et lui parler. J'ai fait une découverte chez lui ce matin qui m'a chamboulé.

  • Tu es revenu dans sa chaumière ? Et les loirs ? Cette saloperie. Tu les as virés ?

  • Pas besoin. Ils étaient partis. Mais ce n'est pas important. Il faut que je te dise : j'ai fait une découverte. J'ai trouvé une boîte derrière le lit de Louis. Une boîte contenant des lettres.

  • Ah ! Des lettres d'amour ?

  • Arrête un peu. J'en ai ma claque de ces conneries. Et c'est loin d'être des lettres d'amour comme tu dis. Si mon père était encore là, je te jure qu'on se prendrait des belles engueulades. Tu ne le sais peut être pas mais mon père et Louis étaient copains.

  • Je ne vois pas ce que ça change. Tu les as lues ces lettres ? Et puis je m'en fous d'ailleurs. Je ne veux plus entendre parler de Louis. C'est bon. Depuis qu'il est parti je suis tranquille. Fais ce que tu veux. Basta.


Jacky n'est pas vraiment étonné. Paulo est un brave type mais il a la rancune tenace. Et puis, après tout, c'est une affaire entre Louis et lui. Il remonte dans son vieux 4x4 et se dirige vers la maison de retraite de la commune. C'est une petite structure où tous les résidents se connaissent et il paraît que Louis s'est très bien habitué à sa nouvelle vie. C'est quand même un peu surprenant venant de lui mais après tout bénéficier d'un certain confort à son âge le satisfait sans doute.


Jacky pénètre dans le hall. Cette odeur de soupe, de désinfectant. De vieux. Jamais il ne s'y fera. Il préfère crever avant. Des souvenirs remontent. Quand il était gamin il venait là voir sa grand-mère qu'il aimait beaucoup. S'il avait pu en ce temps là lui éviter cette déchéance, mourir ici, il l'aurait fait . Car pour lui, terminer son existence dans ce genre d'endroit relève de l'indignité. Mais la brave femme ne se plaignait jamais. C'était sa fierté de n'embêter personne de sa famille avec son handicap : elle n'avait plus l'usage de ses jambes.


Jacky s'enquière du numéro de chambre de Louis à l'accueil et résolument s'avance vers la porte 6. Elle n'est pas complètement fermée. Jacky aperçoit dans l’entrebâillement le vieil homme assis dans son fauteuil. Il s'étonne des changements opérés sur son voisin en quelques mois. Méconnaissable. Il a tellement changé. Il a grossi. Lui, le sauvage, le célibataire qui se fichait comme d'une guigne de son aspect physique est propre comme un sou neuf et bien peigné. Il est vêtu d'un bas de jogging gris en tissu épais, lainage ou molleton et d'une chemise à carreaux bleus. Il semble dormir, la bouche ouverte, les mains croisées sur sa poitrine.


Jacky hésite un peu, craignant de réveiller Louis puis il se dit qu'il ne va pas repartir maintenant. Louis aura tout son temps pour faire la sieste ensuite.

Il frappe légèrement. Aussitôt un « entrez » ferme l'invite à franchir le seuil.

  • Bonjour Louis.

  • Bonjour Jacky.

Les deux hommes se regardent. L'un affiche un petit sourire bienveillant tandis que l'autre, un peu honteux, s'avance timidement. Louis se lève et prend Jacky dans ses bras.

- Je savais que tu viendrais mon garçon. Je t'attendais.




samedi 28 juin 2025

Chez Louis de Cantegril. (Yvanne)

  

Dans le texte « Étrange ou pas » je vous parlais de la visite de mes amis Paulo et Jacky chez leur voisin le Louis de Cantegril. Ce dernier a rejoint la maison de retraite de la commune après avoir vendu ses petits lopins de terre. Mais il a gardé sa vieille maison dont personne ne s'occupe. Des gamins ayant aperçu la porte de la masure ouverte ont alerté leurs parents.

Après concertation et mettant de côté leurs différends avec Louis, Paulo et Jacky se sont rendus sur place pour évaluer la situation. Et éventuellement prendre des mesures en appelant la police. La porte était bien entr'ouverte mais sûrement pas du fait d'un rôdeur. Tellement en mauvais état qu'un simple coup de vent avait probablement suffi à la pousser.

Des bruits bizarres ont incité les deux compères à entrer. Curieux, Jacky a cherché à savoir d'où ils provenaient. Il a découvert des squatters un peu particuliers dans la chambre de Louis : une famille de loirs avait élu domicile dans une couverture abandonnée derrière le lit du bonhomme. Les deux amis avaient convenu de revenir plus tard pour régler le petit problème.

En définitive, le lendemain Paulo n'a pas accompagné Jacky à Cantegril comme prévu. Ce qui a bien amusé son copain. Paulo est pétochard et sensible à toutes les histoires de revenants qu'il a entendues dans son enfance. Les loirs ont pour lui mauvaise réputation et il n'y touchera pas.

Jacky s'est muni d'un sac pour embarquer la tribu indésirable. Il a l'intention de l' abandonner ensuite dans un bois. Mais surprise : les petits animaux ont devancé ses intentions et pris la poudre d'escampette. En déplaçant la couverture sous laquelle ils avaient établi leurs quartiers, Jacky découvre un pan de lambris à moitié pourri. Il pousse du pied la lamelle de bois qui tombe en s'émiettant.

Jacky hausse les épaules en se disant que tout ici mérite juste un coup de pelleteuse. Il s'apprête à repartir quand soudain il remarque, posée à même le sol une vieille boite de biscuits Lu. Il hésite. Doit-il la ramasser et vérifier son contenu ? Doit-il faire comme s'il n'avait rien vu ? Après tout, Louis est vivant et maître de ses secrets. Et de ses biens. Mais en fait quels biens ?

La curiosité est la plus forte. Jacky se saisit du coffret en fer et l'ouvre sans difficulté. Il contient des lettres. Un paquet de lettres provenant de l'étranger. Elles sont rangées par ordre chronologique. La dernière porte une date assez récente. En fait Louis l'a reçue juste quelques mois avant son départ pour la maison de retraite. Jacky remarque que l'écriture sur l'enveloppe est différente de celle des missives précédentes.

Il éprouve quand même une certaine gêne. Le sentiment que peut être il brave un interdit. Il tourne et retourne ce courrier dans ses mains. Il ne pense pas que Louis ait des choses à cacher. Oh et puis tant pis. Il va la lire cette lettre. Juste celle-ci sur le dessus de la pile. Celle qui, c'est évident, ne provient pas de la même personne. Il déplie une feuille couverte recto-verso d'une fine écriture et la parcourt. Il fait une découverte qui le sidère.

Cette correspondance émane d'une femme, Judith. Et elle serre le cœur de Jacky. Lui, l'intrépide, le bon vivant, lui qui ne se laisse pas submerger par les émotions a les larmes aux yeux. Avec des mots poignants, Judith annonce à Louis le décès de son époux Joseph. Elle lui confie que dans ses derniers instants son mari a évoqué le grand cœur de Louis et sa bravoure, lui qui n'a pas hésité à s'occuper pendant des mois de Joseph et ses deux sœurs cachés dans une vieille grange à l'écart du village. Jacky a vite fait le calcul et constaté que Louis était très jeune au moment des faits. A peine 14 ans.

Jacky décide de rendre visite à Louis. De tout lui raconter. Et surtout de lui manifester ses regrets de n'avoir pas appris à le connaître.




samedi 7 juin 2025

La Léonie Pèsefin (Yvanne)

   

 

Il y avait de tout dans l'épicerie de Léonie. Vraiment de tout. De la muselière pour les veaux au coton à repriser. Un personnage la Léonie. Toujours vêtue de son éternelle blouse grise. Une maîtresse femme qui ne s'en laissait pas conter et répondait du tac au tac et vertement aux hommes qui fréquentaient sa boutique et la chahutaient un peu pour le fun.

Été comme hiver la porte de la maison était ouverte. On pénétrait directement dans une grande pièce aux multiples usages. En face de l'entrée se trouvait la cabine téléphonique et contre elle un cagibi faisant office de bureau de poste. Dans un des panneaux de bois surmonté de vitres, s'ouvrait un guichet. Au fond, sur la droite on apercevait la cuisine avec son attirail suspendu aux murs, la table, les chaises et le fourneau sur lequel trottinaient la soupe et le frichti du jour. A gauche il y avait l'épicerie.

Léonie cumulait donc les fonctions d'épicière et de postière. Elle était l'épouse de Martial, l'autre facteur de la commune, collègue de Menaud dont j'ai déjà parlé ici. Dans l'exercice de sa fonction administrative Léonie avait le coup de tampon vigoureux et des manières singulières. Tout le monde la soupçonnait d'ouvrir le courrier. Aussi chacun s'appliquait à barder de scotch les envois qu'on lui confiait. Elle ne se privait pas non plus d'écouter les conversations téléphoniques passées par la cabine, cette dernière n'étant pas fermée. Oui, Léonie connaissait la vie de chacun mieux que le curé et son confessionnal. D'ailleurs les gendarmes du canton ne s'y trompaient pas : ils faisaient régulièrement des haltes intéressées chez elle.

Personne n'avait vraiment le choix. On devait passer par Léonie. Même si on se méfiait d'elle comme de la peste. Et elle en profitait. Elle connaissait sa clientèle. D'un simple coup d'œil à l'entrée d'un quidam, elle savait à qui elle avait à faire et à quelle facette de ses deux métiers elle devait se livrer. Un paquet, une lettre, un mandat dans les mains c'était pour la Poste. Un cabas, un panier, une musette c'était pour l'épicerie. Souvent les gens cumulaient à l'occasion d'événements comme les enterrements par exemple. Ces jours là il y avait la queue chez Léonie.

J'étais souvent chargée des petites courses et j'y prenais plaisir. Pas parce que j'attendais une friandise ! Il ne fallait pas y compter. Bien trop radin la Pésefin ! Non. Simplement j'aimais les odeurs qui émanaient de la boutique. Surtout celles des oranges et des bananes qui évoquaient pou moi des pays lointains. J'aimais regarder l'accumulation des denrées sur les étagères, dans des caissettes et même des tonneaux. Je me souviens particulièrement des couches de harengs fumés et salés qui remplissaient une barrique contre laquelle régulièrement je me cognais.

Sur le comptoir, à côté de la balance à aiguille étaient alignés en bon ordre quantité de bocaux hermétiques contenant les sucreries que je dévorais des yeux. Il y avait là des berlingots de toutes les couleurs, des roudoudous que l'on léchait jusqu'à la coquille, des sucettes Pierrot Gourmand, des malabars roses. S'il me restait trois sous après les commissions j'étais parfois autorisée à m'offrir une douceur. Je choisissais un carambar pour ce qu'il y avait écrit sur son papier d'emballage : énigmes ou blagues.

J'aimais aussi observer la Léonie quand elle pesait sa marchandise. Toujours la même gestuelle. Elle ajustait ses lunettes, s'essuyait les mains sur sa blouse, posait le produit entouré de papier journal sur la balance, disposait méticuleusement les poids en laiton. Enfin, elle se penchait à l'avant pour lire et annoncer la « sentence » Elle encaissait les espèces avec une satisfaction non dissimulée.
Jamais de ristourne. Jamais un compte rond. Elle méritait bien le surnom de « Pèsefin » Ce sobriquet était tellement entré dans les mœurs que parfois certains clients commettaient l'impair de la saluer en la nommant ainsi. Mais Léonie s'en moquait éperdument. Seulement vous pouviez être sûr que le gaffeur se ferait rouler dans la farine. Et honteux, ne piperait mot. 

   

samedi 3 mai 2025

À Madame la Marquise de Sévigné, à la grâce de Dieu. (Yvanne)

   

Ma chère Marquise,


Oserai-je m'entretenir avec vous comme avec une amie ? J'ai trop de respect pour votre personne pour avoir cette audace. J'aimerais simplement que ma lettre vous soit une distraction dans l'ailleurs où , je présume, vous étourdissez les anges par votre talent.

Je n'affûterai pas ma plus belle plume d'oie pour vous écrire. Me croirez vous ? Ces volatiles ne sont plus plumés par de diligentes mains mais par des machines barbares qui les dépouillent en un rien de temps. Ah ! Je vous devine : vous étouffez un petit rire discret derrière votre main joliment gantée de blanc. Je ne vous ferai cependant pas l’offense d’utiliser ce moyen moderne que l’on nomme informatique pour m’adresser à vous. Il reste encore, fort heureusement, un peu d’encre au fond de mon encrier.

Je suis allée à votre rencontre à Grignan où tout parle encore de vous. Je pensais si fort à vous qu’en levant le front, je crus vous apercevoir derrière le carreau de votre chambre. Vous étiez penchée sur votre écritoire et entreteniez une conversation écrite avec l’un de vos nombreux amis, épistoliers fervents tout comme vous. Tantôt sereine, tantôt triste ou amusée, vous laissiez “trotter votre plume la bride sur le cou” pour narrer avec esprit et impertinence les potins du jour.

Il faut que je vous parle du grand malheur qui s’abat sur notre Terre. Il parait que notre planète va à vau-l’eau. Enfin, c’est ce que l’on dit. Je crains en effet que le mal soit profond mais je pense, quant à moi, qu’il faut savoir en toute chose raison garder. Aperçoit-on le ventre blanc d’un poisson qui dérive au milieu de la rivière, ce sont les phosphates des lessives qui l’ont tué; un oiseau gît, raide et ébouriffé au bord du chemin, il s’est nourri de graines empoisonnées par les pesticides des agriculteurs. Les abeilles meurent et nous aussi. Quoi de plus naturel au fond ? Toute mort nous semble suspecte et nous voudrions être éternels. La cryogénisation n’étant pas encore tout à fait universelle, nous devons nous contenter de notre sort de mortels et je dirais : tant mieux ! Je ne suis pas certaine que des resserres à congélateurs agrémentent mieux le décor que nos cimetières où au moins il y a quelques fleurs.

Bien sûr, nous commettons de graves erreurs dans nos façons modernes de vivre et la Nature se venge sans doute. Au lieu d’agir sagement comme nos pères, nous sommes invariablement entraînés dans un tourbillon qui nous fait consommer à outrance et pour essayer de remédier à cela, nous tentons quelques gestes dits “bons pour la planète “. Bein entendu, cela ne suffit pas. Alors, on nous culpabilise, on nous tyrannise, on nous accable, on nous vilipende tant et si bien que nous marchons sur la tête. Le progrès dans tous les domaines nous libère et nous assujettit tout à la fois. Savez vous que nous avons mieux que l’hippogriffe dont vous parliez avec humour à votre fille pour voyager ? Les carrosses de vos périples se sont transformés en voitures automobiles dont les chevaux pétaradent au lieu de hennir.

Je vais aussi vous rapporter la chose la plus surprenante, la plus extraordinaire, la plus époustouflante, enfin la plus abracadabrantesque - non, ma bonne, vous ne connaissez pas ce vocable : il fut inventé par un ancien Président de la République mais je gage que vous l’auriez adopté - donc, la nouvelle la plus curieuse qui soit. Nous avons inventé, figurez-vous des oiseaux qui vrombissent dans le ciel et nous transportent à travers le monde en un rien de temps. Pour nous déplacer nous disposons également de longs serpents qui filent sur des rails à vitesse grand V. D'ailleurs on les nomme TGV. Je suis certaine que vous auriez apprécié ces moyens de locomotion : vous qui vous languissiez de votre fille et deviez endurer des jours et des jours de voyage éreintant pour la rejoindre.

Un inconvénient cependant : nous n’avons plus le temps d’admirer le paysage. Ce dernier, d’ailleurs aurait de quoi vous surprendre. Les éoliennes se sont substituées aux moulins à vent et nos paysans ont déserté les champs, remplacés par de gigantesques monstres rouges ou verts qui semblent aller seuls à travers des étendues dépourvues de haies. Me croirez vous ? Le blé ou autre céréale ou bien encore les légumes ne poussent plus dans certaines terres. A leur place, ma chère, d'immenses étendues de panneaux bleuâtres. On appelle ceci l'électricité photovoltaïque, produite à partir du soleil. C'est ingénieux n'est ce pas ?

Mais voilà ! Il faut compter avec la pollution occasionnée - entre autre - par toutes ces choses nouvelles. Et le climat ? Nous voici en pleine querelle d’experts pour savoir s’il faut vraiment parler de réchauffement climatique. Enfin, ma chère, nous voici cul par dessus tête et l’avenir semble bien morose, tant nous semblons aller de Charybde en Scylla.

Ah il est une chose dont je ne vous parlerai pas tant elle me dépasse. Il s'agit de l'intelligence artificielle. Comment la matière grise – innée - peut elle être fabriquée me demanderiez vous ? Marquise : je ne sais pas mais je dois bien en convenir : cela existe !
Et les voyous des grands chemins ? Les coupe jarret ? Avec la fameuse informatique dont je vous entretenais plus haut, ils sont dépassés. Nous devons lutter maintenant contre les cyber attaques. L'ennemi est ici invisible et néanmoins tellement nuisible !

Mais brisons là, Madame. D’aucuns, comme Monsieur Proust, diraient que j’ai assez “fait ma Sévigné”. Ah ! une dernière chose cependant. Voyez vous, malgré nos technologies modernes et sophistiquées, nous n’avons pas encore réussi à communiquer avec l’au-delà. Et cela me chagrine quelque peu. Je n’ai pas peur de mourir, non, mais j’aimerais savoir ce qui se passe là haut et surtout si l’on s’y divertit. Un petit billet de votre plume serait le bienvenu. Je vous laisse le soin de choisir votre messager. Adieu donc, Marquise . Votre éternelle admiratrice.


samedi 26 avril 2025

Disparue. (Yvanne)

   


Que faisait-elle, seule, sur ce quai complètement désert en ce dimanche matin de février ?
Je l’observais depuis mon lit douillet. La fenêtre de ma chambre donnait, par delà mon minuscule jardin directement sur la plate forme de la gare. Je savais qu'il n'y aurait pas de train avant deux bonnes heures. Pourquoi était-elle ici autant en avance ? Il faisait froid et par moments, une légère bruine embrouillait le ciel.

J'avais décidé de faire la grasse matinée et après un café pris à la cuisine, j'étais allée me glisser à nouveau sous ma couette. Bien calée au creux de mes oreillers, j'avais repris la lecture de mon roman abandonné la veille quand je l'aperçus. Elle était grande, vêtue d'un manteau gris foncé qui recouvrait à demi ses bottes. Elle avait enfoncé sur sa tête un doulos grenat d'où dépassait une opulente chevelure brune. Elle portait en bandoulière une sacoche noire qu'elle ouvrait de temps à autre pour en extirper un mouchoir ou d'autres choses que je ne pouvais discerner.

Elle allait et venait le long des rails sans doute pour se réchauffer. Une petite valise était abandonnée près de la porte de la salle d'attente fermée depuis des années. Comment était-elle arrivée là ? Tout le monde se connaissait ici et je ne l'avais jamais vue auparavant. Qui était-elle ?

Elle s'arrêta tout à coup juste en face de moi. Elle venait de m'apercevoir derrière mes carreaux. Je me sentis quelque peu gênée. Comme si le fait de la regarder à son insu était une violation de sa personne. Elle ne sembla pas contrariée. Bien au contraire. Elle m'adressa un sourire. Elle sortit de son sac une cigarette qu'elle alluma et reprit sa marche solitaire.

J'eus soudain envie de l'interpeller. De lui dire qu'il n'y aurait pas de train avant longtemps. Je pensais – idée un peu folle – l'inviter à prendre une boisson chaude chez moi. Dans cette optique je me levai et m'habillai rapidement. Un coup d'œil à la fenêtre m'apprit qu'elle avait renoncé à sa déambulation. Elle était immobile près de son bagage et tenait son téléphone près de son oreille. Elle parla longtemps. Je ne pouvais évidemment pas voir l'expression de son visage mais je devinais, aux gestes brusques qu'elle effectuait de temps à autre que la conversation avec sa correspondance était animée.

J'avais résolu de mettre un terme à ma curiosité en tirant mon rideau quand je la vis soudain devant le portail de ma courette, le visage levé vers moi. Elle me fit signe d'ouvrir ma fenêtre. Ce que je fis, intriguée. Elle me paraissait tout à coup en panique et c'est des sanglots dans la voix qu'elle me cria :

- Ouvrez-moi. Ouvrez-moi s'il vous plaît. Ils arrivent. Vite.
- Ils arrivent ? Qui ? Que craignez-vous ?
- Ils me cherchent. Ouvrez. Par pitié !

Je n'en croyais pas mes oreilles. Recherchée ? Peut être par la police ? Qu'avait-elle fait ? Qu'avait-elle à se reprocher ? Et moi comment allais-je aborder ce problème ? Je me maudis de mon intérêt malsain pour cette femme. J'étais prise au piège et ne savais pas comment m'en sortir. Fallait-il ouvrir ma porte ? Ou bien me terrer chez moi et faire la sourde oreille ? L'idée me vint d'appeler la gendarmerie de mon village. Ce que je fis sans plus tarder.

Mon coup de fil passé, je m'approchais de la fenêtre de ma cuisine pour surveiller l'arrivée du fourgon bleu. Incroyable ! L'inconnue s'était subitement volatilisée. Plus personne sur le quai de la gare. Avais-je rêvé ? Non. En attestait un chapeau de feutre grenat gisant dans la poussière.


samedi 19 avril 2025

Comme des moineaux. (Yvanne)

   


Il neigeait souvent à cette période l'année. Les fêtes de Noël approchaient et notre curé nous chargeait, nous les enfants du bourg, d'un travail qui nous plaisait beaucoup. Nous nous sentions investis d'une mission et prenions très à cœur de l'accomplir du mieux possible.

Ce n'était pas encore les vacances. Un jeudi matin de la mi-décembre, jour sans école, nous participions tous, petits et grands à la séance de catéchisme donnée au presbytère par notre vieux prêtre. C'était un brave homme que les garçons embêtaient quelquefois, sans méchanceté cependant. Nous attendions qu'il fasse sa demande comme chaque année. Nous savions à quoi était destiné notre après midi et nous en réjouissions.

« Mes enfants, vous allez dire à vos parents que j'ai besoin de vous aujourd'hui. » Ces paroles étaient accueillies avec enthousiasme. Même pas besoin de demander la permission de quitter la maison : le curé faisait autorité. Juste informer de notre absence justifiée. D'ailleurs tout était convenu d'avance. Nous déjeunions en vitesse et repartions vers la cure où nous prenions de grands paniers et c'était la joyeuse débandade vers les bois avoisinants.

Nous devions préparer la crèche. C'était toujours la même depuis des années, remisée à la sacristie après Noël. Elle était grande, construite en bois et dotée d'un joli toit de chaume. La sœur de Monsieur le curé s'occupait de la nettoyer, étalait de la paille à l'intérieur et disposait les personnages toujours de la même façon. Sur le côté droit était posé l'ange bleu qui remerciait quand il recevait une pièce. Cet ange m'a intriguée toute gamine puis j'ai su très vite qu'il n'était pas besoin de l'enrichir pour qu'il hoche la tête... Je connaissais la façon de m'y prendre pour ce faire. Et les petits copains aussi ! Ce qui nous valait quelques taloches de la part de la « curette » comme nous la nommions entre nous avec impertinence.

Nous, les enfants parcourions la campagne à la recherche de mousse bien verte, de branches de houx aux belles grappes rouges et aux feuilles luisantes, de lianes de lierre que nous détachions des arbres dont c'était l'unique parure. Nous gardions pour la fin nos récompenses. Elles se cachaient dans les haies.
C'était les prunelles bleues que nous disputions aux oiseaux. Il fallait voir les merles mécontents surgir des fossés en sifflant. Pareil pour les moineaux affolés et transis. Quelles envolées ! Nous cueillions les fruits noirâtres avec précaution car les épines de leurs arbustes ne nous épargnaient guère si nous étions trop gourmands. Les petites prunes étaient âpres, même après avoir gelé mais nous les mangions quoi qu'il en soit. Personne ne faisait le difficile de peur d'être moqué.

Nous gardions le meilleur pour la fin. Nous savions où trouver en quantité des gratte cul que je nommerai ici cynorrhodon pour faire plaisir à notre ami Walrus. Saupoudrés d'une fine couche de neige ou de givre ils donnaient à la broussaille un air de fête dans leur robe orangée, perlée de blanc. Nous savions exactement comment les consommer sans avaler les poils. Ils étaient légèrement acides et sucrés. Nous en raffolions.

Il fallait bien finir par rentrer pour porter notre cueillette dans l'église où nous attendaient quelques mamans qui finalisaient les préparatifs de Noël. Mais pas question de quitter les bois sans dénicher de la visaube que nous fumions en toussant et crachant comme des tuberculeux. Terminer un si bel après midi sans quelques bêtises n'aurait pas été digne de notre bande de polissons.




samedi 12 avril 2025

Menaud. (Yvanne)

 


Mais enfin c'est quoi cette carabistouille ? Je vais chercher la définition de bistouille sur gougueule. On me dit : mélange de café et d'eau de vie (mauvaise eau de vie d'ailleurs  et ce n'est pas moi qui le dis!) dans le ch'nord et en Belgique. J'en demande un peu plus - toujours à « je sais tout «  et il m'annonce : bistouille, synonyme ratafia. Ça ne va pas du tout du tout. Le ratafia, est-il précisé, est une boisson obtenue par macération de végétaux ou de fruits dans l'alcool. En l'occurrence chez moi on obtient le ratafia avec du raisin et de l'eau de vie. Le café a proprement disparu. Peut être reste-t il le marc pour la cafédomancie ? Pour y voir un peu plus clair ?

Bref. Laissons la bistouille à ses amateurs. Parlons plutôt du champoreau. Je connais cette mixture depuis l'enfance. Quoi ? Vous pensez peut être que ma maman ne m'a pas nourrie au sein mais à la bibine ? Que nenni ! Si j'ai été au parfum très tôt avec le champoreau c'est à cause de Menaud.

Ah Menaud ! Un poème Menaud ! C'était le facteur de ma commune dans les années 50. Je ne sais pas et je n'ai jamais su son nom de famille. Tout le monde l'appelait Menaud ou facteur. Pourquoi Menaud ? Tout simplement parce qu'il habitait près de la Menaude, une petite rivière qui serpentait dans la vallée, au bas de la colline. Le bourg et donc le bureau de poste se situaient tout en haut d'une bonne montée. C'est là où j'ai passé mon enfance. Sur cette même colline.
Menaud grimpait allégrement ses 5 kilomètres de côte tous les matins, été comme hiver, qu'il pleuve, qu'il vente, qu'il grêle ou qu'il fasse une chaleur terrible. Évidemment le soir, pour rentrer chez lui c'était plus facile d'autant qu'avec tous les canons enfilés tout au long de sa tournée, il avait l'humeur joyeuse et les mollets aguerris. Mais ça c'était après le boulot.

L'homme portait, quelle que soit la saison son uniforme composé d'un pantalon bleu marine, d'une veste de même couleur agrémentée de boutons dorés bien astiqués. Et par dessus, suivant le temps, une grande cape qui lui descendait jusqu'aux chevilles. Menaud était sérieux, fier de son travail de postier et il fallait le voir poser crânement sur sa tête son képi gansé de rouge  avant de commencer sa distribution. Pas le genre du facteur de Tati. Plutôt austère le matin le bonhomme.

Alors, me direz-vous quand vas-tu nous parler du champoreau ? J'y viens ! J'y viens !

Après avoir effectué son tri, garni ses sacoches de courrier, compté les sous des allocs ou autres mandats des veuves de guerre etc...argent qu'il rangeait consciencieusement dans sa musette portée en bandoulière, Menaud se rendait au bistrot pour prendre son casse-croûte.

Et c'est surtout là que je pouvais l'espionner à l'aise quand j'allais acheter le gris ou le job de mon pépé ou les boîtes d'allumettes pour démarrer le feu, le bistrot faisant office de bureau de tabac. J'y allais aussi quand ma grand-mère avait perçu la veille sa pension de veuve de guerre - justement - Oh, une pension rachitique ! Parce que ma grand-mère avait eu la bonne idée de se remarier avec Pascal-Etienne (dont je vous ai déjà parlé il y a peu) sinon je ne serais pas là en train de vous raconter ma vie. Comme Joe ? Figurez-vous que ma mémé plaçait les dits sous dans la limonade. Ben oui. Elle m'envoyait au bistrot en acheter deux bouteilles. Vous pensez bien que je n'allais pas rater ça : une bonne rasade de limonade pour ma commission. Je n'oublierai jamais ces petits plaisirs d'enfance : ils n'étaient pas si nombreux.

J'allais faire les courses le matin avant l'école et je trouvais Menaud occupé à se sustanter avant d'attaquer son travail. Il sortait de son sac une serviette à carreaux qu'il dépliait délicatement sur sa table. Elle contenait des radis au printemps. Que c'était beau ces petits croquants roses et blanc et vert ! Ils me faisaient envie moi qui n'en mangeais jamais. Il n'y en avait pas dans notre jardin familial. Menaud les trempait dans un bol de sel que lui avait fourni Solange, la patronne des lieux. Il les accompagnait d'un verre de vin. A la fin de sa collation il réclamait du café qu'il versait dans son verre de rouge. Je voyais bien qu'il adorait ce breuvage. Quelquefois pour me taquiner il me tendait sa boisson en disant : « tu veux un petit coup de champoreau petite ? «  Il n'en fallait pas plus pour que je détale, un peu honteuse de m'être plantée devant lui tout ce temps pour l'observer.

J'ai aimé tous ces personnages de mon enfance. Ils étaient naturels, avec pour chacun une petite particularité qui ne m'échappait pas. Ils m'ont tous aidée à grandir dans ce village que je porte dans mon cœur.

  

samedi 5 avril 2025

Désillusion. (Yvanne)

 

Il avait fallu trois ans à Iris pour digérer son divorce. Gino et elle avaient pourtant choisi de mettre un terme à leur histoire d'un commun accord. Mais la blessure - y songeait-elle avant ? - avait été douloureuse pour elle. On ne sort pas indemne d'un mariage ayant duré quarante années. Quarante années de bonheur si l'on exclut les petits accrochages qui ne manquent pas de se produire dans un couple, même fusionnel.
Leurs deux enfants avaient depuis longtemps quitté le foyer familial et tout allait bien pour eux. Les parents auraient pu être comblés et profiter pleinement de leur retraite.

Mais non. Justement la retraite avait tout gâché. A se côtoyer des journées entières, ils avaient fini par ne plus se supporter. Voire se détester. Et la pandémie n'avait pas arrangé les choses. Leur union s'étiolait insidieusement mais sûrement. Personne ne comprenait. Au départ les proches se moquaient gentiment d'eux quand ils assistaient de plus en plus souvent à leurs disputes. Mais ils durent se rendre à l'évidence : il y avait bel et bien une cassure. Et plus le temps passait, plus le fossé dans le ménage devenait profond. Chacun d'eux aspirait à une autre existence faite pour elle de voyages, de sorties avec ses amies alors que Gino préférait le calme et la tranquillité au sein de sa maison, aller à la pêche et cultiver son jardin.

Trois ans qu'Iris n'était pas heureuse. Pourtant elle menait cette vie qu'elle avait ardemment souhaitée. Elle disposait de cette liberté dont elle rêvait. Mais voilà : elle se sentait terriblement seule et la peur de vieillir dans cet état lui était insupportable. Son entourage, spectateur impuissant de sa tristesse l'encourageait maintenant à prendre des directives afin de pallier le manque. Iris avait mis longtemps à se décider. Mais un jour elle s'était réveillée en songeant : pourquoi pas ?

Elle avait fait un régime alimentaire, s'était inscrite dans une salle de sport, changé de coiffure et se rendait régulièrement chez une esthéticienne. Elle se trouvait à son avantage et cela l'encouragea à sauter le pas. Elle prospecta en ligne, fréquenta les thés dansants en quête d'un homme qui saurait la séduire.

Après plusieurs échanges avortés, elle pensait avoir déniché enfin celui qui, peut être, pourrait partager ses goûts et mettre fin à sa solitude. Elle se félicitait de leurs contacts prometteurs qu'ils soient téléphoniques ou en visio. Le jour de leur rencontre physique était arrivé. Il l'avait invitée dans le meilleur restaurant de la capitale régionale et elle trouvait cette démarche délicate.

Luc stationnait devant l'établissement. Il était assis dans sa voiture et échangeait au téléphone avec une tierce personne. Il la regardait tout en parlant mais il ne fit pas un geste pour mettre fin à sa conversation qui dura plus qu'il n'en fallait aux yeux d'Iris. Elle attendait, plantée comme une idiote devant son véhicule que ce monsieur veuille bien la rejoindre. Ce qu'il fit enfin. Ses excuses furent désinvoltes et, manque incroyable de politesse il la précéda dans la salle, s'installa à une table sans même y avoir été invité par le serveur. Iris comprit alors qu'il avait ses habitudes dans ce lieu mais elle commençait à penser qu'il se comportait comme un goujat. La suite lui confirma qu'elle ne se trompait pas : il lui posa des questions indiscrètes, fit étalage de ses biens et pire annonça qu'en cas de projet d'union entre eux – incroyable : il en était déjà là ! - il faudrait d'abord passer chez le notaire. Interloquée tout d'abord Iris prit le parti d'en rire. Ce qu'il ne remarqua même pas.

A la fin du repas, il lui proposa tout de go, avec des sous entendus licencieux de terminer l'après midi chez lui. Iris, n'en pouvant plus de tant de muflerie, lui souffla : « nous en resterons là. Au revoir. Nous n'avons vraiment pas d'atomes crochus. »



Défi #894

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