En cette fin d'après midi, tout le monde chez Nana cherche Ronchonchon. Chacun s'interroge. Mais où est-il allé avec son vélo ? Il est parti depuis le matin, très tôt. Au poulailler, ça caquette, ça jacasse, ça glousse... On se concerte, on suppute.
Enfin, au grand soulagement de tous, le voilà qui arrive, tirant la langue, soufflant comme un bœuf et complètement à plat après tout ce trajet en traînant sa bécane.
- Scrogneugneu de scrogneugneu j'en peux plus ! Ah si je le tenais le mec je le ferais bruxeller moi, foi de cochon !
De qui parle t-il ? La basse cour est en émoi. Quel est le trublion qui a mis leur Ronchonchon dans cet état ?
Ses favorites, Monette et Simone se précipitent, l'une avec une serviette éponge bien moelleuse, l'autre avec la friandise préférée du cochon : quelques mouillettes baveuses de jaune d'œuf. Le voilà vite requinqué, prêt à regagner sa botte de paille pour une nuit paisible. Les poulettes cependant, ne dorment que d'un œil, craignant pour leur soyeux bien aimé. Soudain, elles se poussent de l'aile. Ont-elles bien entendu ? Pas de doute possible. A plusieurs reprises, le goret grogne dans son sommeil les mots « cocotte universelle, Suisse ». Qu'est ce que ça peut vouloir dire ? Elles lui demanderont le lendemain à la première heure.
Au chant du coq, Monette et Simone, curieuses et intriguées, font un vacarme épouvantable pour réveiller Ronchonchon. Quand enfin il émerge, elles lui servent un bon petit déjeuner avec empressement. L'animal n'est pas d'humeur au saut de sa paillasse et elles le savent. Elles sont tellement avides d'en apprendre davantage que, malgré tout, elles l'abreuvent de questions au sujet de sa somniloquie.
Mal leur en prend : le cochon se met dans une colère noire et reste muet. Les poulettes ne capitulent pas pour autant. Elles sont tenaces. Voilà qu'une idée jaillit de derrière leur crête.
En chœur elles interpellent Ronchonchon. C'est Monette qui s'y colle en premier.
- Mon ami, il faut que tu répares ton vélo au plus vite. Nous devons aller en Suisse.
- Hein ? Quoi ? En Suisse ? Qu'est ce que vous voulez aller faire en Suisse ?
- Mais enfin Ronchonchon tu sais bien que Simone est née à Genève. Et puis, nous avons quelques économies avec la vente de nos œufs. Il serait bon de mettre un peu d'argent de côté par les temps qui courent. Nous irions à la banque...
J'ai envie d'aller voir la mer, moi ajoute Simone. Comme l'autre petite poule, là. Mais évidemment tu ne connais pas l'histoire de la petite poule qui voulait aller voir la mer. Ignorant ! Tu n'écoutes pas quand je lis à voix haute aux enfants le soir.
Elles me feront tourner en bourrique. Complètement folles ces femelles ! La mer ! En Suisse ! Pffff !
Ben oui. Parfaitement. Et le Léman alors ? C'est ma mer à moi riposte Simone. Et je veux y aller demain.
De guerre lasse, le cochon a changé la roue de sa bicyclette.
Le jour suivant, tout le monde en selle ! Pendant que Ronchonchon pédale, les poulettes se serrent l'une contre l'autre sur le porte bagage . Elles ont caché sous leurs ailes des paquets de billets. On les dirait prêtes à s'envoler tant elles sont gonflées.
Dans la corbeille à l'avant, ils ont placé quelques sandwichs préparés par Nana , les euros ont remplacé le camembert dans certains parce que Monette, très prudente, a dit qu'il ne fallait pas mettre tous ses œufs dans le même panier.
Arrivés à la douane, Ronchonchon, la tête dans le guidon, essaie de passer discrètement. Pas de chance : surgit d'une guitoune un énergumène aux bacchantes fournies et aux joues fleuries. (Ne doit pas sucer que de la glace celui là pensent les trois voyageurs)
- Halte ! Qu'est ce que vous avez à déclarer ?
- Rien. On va voir la mer euh.. le lac Léman.
Le douanier les observe en se caressant le menton. Il s'apprête à les laisser passer quand tout à coup il s'exclame :
- Hé, vous, les deux poulettes, qu'est ce que vous avez sous les ailes ?
- Nous ? On emmène nos poussins à la plage. Chut ! Ils dorment.
- Allez, circulez. Il ne sera pas dit qu'un gabelou suisse a des idées pédophiles.