Ce
matin, chargé d'une mission comme qui dirait imprévue je débarque
chez mon voisin Bernard .
« Dis
donc Bernard, t'as toujours ton taille-haie ? »
« Ouais
mais t'avais arraché ta haie l'an passé, alors t'en as pas besoin »
« Euh...
moi non mais c'est Germaine qui m'a d'mandé de te d'mander »
« Germaine ?
Quoi qu' cest donc qu'elle veut tailler ? »
Je
passe une main dans ma barbe hirsute : »Elle a trop honte
depuis quelques semaines »
« Elle
a honte de quoi, si c'est pas indiscret ? »
Je
repasse une main dans ma barbe hirsute : « C'est pas
facile à expliquer. J'sais pas si c'est le changement de régime
alimentaire ou la ménopause mais ça c'est mis à pousser dru qu'on
dirait les ronciers du père Martenot »
« Quels
ronciers du père Martenot ? »
« Tu
t'rappelles pas qu'ils avaient tellement poussé au bord de son étang
des Prunelles qu'il avait dû s'équiper d'un gros engin pour
défoncer tout ça ! »
« Et
alors, Germaine en est rendue là ? »
Je
soupire : »Tu verrais l'tableau, mon pauv' Bernard »
« Quel
tableau ? »
« Et
ben, t'as déjà vu l'Origine du monde ... »
«Quelle
origine du monde ? Tu dérailles ou t'as forcé sur la gnole ce
matin ? »
Je
n'ai pas le temps ni l'envie d'initier Bernard à la peinture
réaliste : »Oublie Gustave Courbet, Bernard... alors tu
m'le prêtes ton taille-haie ? »
« Okay
mais fais gaffe, c'est du japonais ces engins-là et même si les
nipons sont imberbes, c'est les champions du débroussaillage »
« On
f'ra gaffe Bernard, on s'y mettra à quat' mains avec Germaine »
« C'est
si touffu que ça ? »
« Si
j'te dis que maintenant je distingue pas la tête de la queue »
Bernard
s'étouffe (s'étouffe en un seul mot).
« La
queue ? Dis-moi pas que Germaine est devenue Germain ?
T'aurais pas fait ça, hein, mon salopard !»
Je
m'étouffe à mon tour : »Tu n'y est pas Bernard. Je parle
de Minette »
« C'est
qui celle-là ? »
« C'est
la chatte de Germaine, l'angora... celle qui chie dans tes
plate-bandes et que tu vires à coups de rateau »
« Ah !
Tu m'as foutu les jetons, j'ai cru que t'avais viré ta cuti»
« Tu
n'imagines pas Bernard comme l'angora c'est un drôle de turc »
« Tu
veux dire un drôle de truc »
« Non,
un drôle de turc. Même que ça remonterait aux Zottomans »
«J'me
suis toujours méfié des turcs moi aussi, à commencer par leur
café »
Bernard
est un méfiant, ça fait même cinquante ans qu'il est méfiant,
comme qui dirait un suspicieux, un ombrageux.
« Germaine
dit que c'est l'seul chat qui utilise sa longue queue touffue pour
exprimer sa joie, ses émotions, enfin tu vois... c'est du Germaine »
Bernard
me lance un clin d'oeil : « Si ça c'est pas un appel du
pied ...»
« Tu
crois, Bernard ? On n'a pas l'esprit à la bagatelle, en
attendant y va falloir tailler Minette»
Bernard
cogite tout haut : «Et l'épilation ça s'rait pas moins
dangereux que mon taille-haie ? »
« Figure
toi qu'on s'était renseignés chez Yves Rocher »
« Rocher ?
Le jeune carrier de l'entreprise de terrassement ? »
« T'es
nul Bernard. J'parle de celui qui fait les maillots »
« C'est
pas bête ça un maillot. Ça peut cacher le touffu, enfin tant qu'ça
dépasse pas »
« Laisse
tomber, Bernard. Ça coûtait un bras et en plus y font pas le
maillot angora »
« Bon,
alors prends mon Makita mais j'te le redis... fais gaffe aux
oreilles ! »
« T'inquiète
Bernard. Si c'est à cause du bruit j'mettrai un casque »
Bernard
me regarde, incrédule.
J'ai
l'impression par moment qu'on ne se comprend pas.