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samedi 18 octobre 2025

LES JOURS EN SUCRE (Marie Sylvie)

  



Ce matin-là,  le ciel s'était habillé en robe de satin bleu 
Brodée de nuages en dentelle et de rayons d'or en cascade.
Les arbres tout frémissants 
Chuchotaient des secrets aux moineaux 
L'air embaumait la confiture de Mirabelle 
Et les pages d'un vieux roman.

Sur le banc de bois moussu 
Un vieux monsieur regardait le monde 
Comme on regarde un théâtre en plein air 
Avec ses acteurs imprévus : 
Un chat qui philosophe 
Une brise qui fait valser les feuilles 
Telles des ballerines en tutu. 

Scrogneugneu ! Grogna-il 
Parce que son café était trop tiède 
Et que les enfants couraient sans se soucier des vers de Victor Hugo.

Mais à peine avait-il râlé que le décor s'inclina. 
Un rayon de soleil vint lui chatouiller la joue 
Une coccinelle se posa sur sa manche 
Tel un point final bienveillant 
Et le vent petit farceur lui souffla un chanson oubliée. 

Alors le vieux monsieur sourit un peu malgré lui.
Scrogneugneu ! Pensa-t-il
C'est peut-être le mot secret 
Qui ouvre les portes des jours en sucre
Lorsqu'on le dit avec un clin d'œil au ciel.


             Il faut toujours un peu 
             De grognement dans le sucre
             Pour que la vie ait du goût 

 

samedi 11 octobre 2025

RUSTINE, CHEVAL DE COURSE ET ROI DES SENTIERS (Marie Sylvie)

   


  


Rustine, c'est pas un bricolage.
C'est un cheval. 
Un vrai. 
Un fidèle. 
Un doux.
Avec ses taches sur le flanc 
Comme des rustines collées à la hâte par un peintre distrait. 
Mais lui, il ne fuit pas les bosses.
Il les avale. 
Il ne crève jamais. 
Il galope, il bondit, il rit presque. 
Et sa selle ?
Un coussin de nuages. 
Pas de courbatures
Pas de guidon qui tremble
Juste le vent qui caresse les joues.

Mes sœurs 
Elles
Elles ont choisi la bicyclette. 
Leur monture à deux roues capricieuse et grinçante.
Elles partent fières 
Cheveux au vent  
Mollets en feu.
Mais souvent leur course finit dans les rosiers. 
Les ronces 
Elles n'ont pas de pitié.
Alors on démonte la roue
On souffle dans la chambre à air 
Comme dans un ballon d'anniversaire fatigué.
On trempe le boyau dans l'eau
On guette les bulles
Les petites traîtresses qui disent :
 《 C'est là que ça fait mal !》.

Et pendant qu'elles réparent
Moi je suis déjà loin.
Je galope loin des épines 
Sur Rustine le cheval-pansement
Celui qui ne promet pas la vitesse 
Mais la douceur du trajet.

 

samedi 4 octobre 2025

EN UN MURMURE D' AUTOMNE (Marie Sylvie)

 

            EN UN MURMURE D' AUTOMNE 


La lumière s'efface 
Telle une promesse trop longtemps tenue
Et les feuilles fatiguées de danser 
Se couchent sur la terre 
Dans un soupir de cuivre et de rouille. 

Le vent glisse entre les branches
Chuchote des secrets aux écorces fendues
Et chaque arbre semble écouter 
Comme un vieux sage qui sait que le silence reste parfois plus vrai que les mots.

Il marche le cœur en veille dans ce théâtre d'ombres et de parfums fanés
Où même les souvenirs ont l'odeur du bois mouillé. 

Une quenouille de brume s'élève du sol
Étrange et douce
Comme si le monde filait ses rêves dans un fuseau invisible. 

Et moi, je reste là
À l'orée du jour qui s'effondre
À l'écoute du murmure d'Automne qui me parle d'un temps 
Où les choses n'avaient pas encore de nom
Mais déjà une âme. 


           Et dans le fil de la brume 
           Je me suis tissée moi-même 



samedi 27 septembre 2025

PAROXYSME DE LA DOULEUR - LE FEU SUR LA GLACE (Marie Sylvie)

   



       PAROXYSME DE LA DOULEUR 
            - LE FEU SUR LA GLACE  - 


Il y a des douleurs qui ne saignent pas.
Elles ne crient pas, ne claquent pas, ne se montrent pas. 
Elles rampent dans les replis de l'esprit telles des ombres qui refusent le jour.

Mon corps est devenu silence.
Un territoire figé, déserté par le mouvement. 
Mais mon esprit, lui, court encore. 
Il traverse des mondes, invente des possibles, tisse des rêves que mes membres ne peuvent plus suivre. 

Et c'est là que naît le paroxysme. 
Non dans le cri mais dans l'absence de cri.
Non dans la douleur physique mais dans celle qui pense, qui sait, qui comprend, et qui ne peut rien faire. 

Je suis une intelligence en exil, une pensée enfermée dans une cage de chair.
Chaque idée est une étoile que je ne peux toucher, 
Chaque désir une mer que je ne peux traverser.

Et pourtant je rêve.
Je rêve avec rage, avec feu, avec obstination
Car même immobile je suis vivante. 

Et dans ce paradoxe, ce feu sous la glace, je trouve une forme de beauté. 
Une beauté douloureuse. 
Une beauté qui brûle sans flamme. 
Une beauté qui me rappelle que je suis encore là, 
Au bord du monde,
Au bord de moi.


                   Le feu et la glace 
                   Ne s'opposent pas toujours. 
                   Parfois ils cohabitent.


 

samedi 20 septembre 2025

Là où le silence s'épaissit. (Marie Sylvie)

   


  



Il y a des matins où le ciel semble penser en gris.
Pas le gris des orages ni celui des regrets
Mais un gris obtus, sans contours, sans colère 
Comme une pensée qui refuse de s'ouvrir. 


Je marche dans ce jour sans angles 
Où les murmures des arbres s'écrasent contre des murs invisibles. 
Tout est là, pourtant rien ne répond. 
Le vent lui-même semble hésiter 
Comme si le monde avait perdu le fil de sa propre mélodie. 


Et moi, je cherche. 
Je cherche dans les plis du réel une faille, 
Un soupir, une étincelle, 
Quelque chose qui ne serait plus obtus,
Quelque chose qui danserait encore. 


Mais parfois, il faut aimer l'opaque, embrasser l'indécis, 
Et se dire que même les pensées les plus obtuses 
Abritent peut-être un secret qui attend d'être nommé. 


               Même l'esprit le plus obtus
               Peut contenir une lumière 
               Que seul le silence sait révéler.


 

samedi 13 septembre 2025

LE POIDS D'UNE COURONNE (Marie Sylvie)

  


 


 Sur le trône, la sultane s'assied, une reine de jade et de perles. 
Elle est là, assise, une figure façonnée de légende par le pouvoir et l'isolement. Son regard, un lac calme qui cache ses vagues intérieures sous un ciel de soie, porte le poids de l'empire. 
Ses mains fines effleurent un parchemin, des mots scellés, des destins tissés dans l'ombre du pouvoir. 
Un sourire léger, une posture parfaite  ... un faux-semblant de normalité, un spectacle pour les regards invisibles qui jugent et qui murmurent. 
Autour d'elle, l'air s'emplit de la majesté du passé, chaque broderie dorée un murmure du temps. 
Un silence de jade et d'or  pèse sur la cour.  



Dernière elle, une figure silencieuse, le * Nabab au teint d'ébène se tient comme une colonne de fidélité, une ombre de chair et de sang. 
Sa haute coiffure pointue touche l'azur des cieux et son éventail de plumes précieuses est une voile qui capte les brises de la cour.
Il est le bouclier, le gardien mais aussi une sentinelle, surveillant chaque mouvement, chaque soupir. 
Son silence est assourdissant,  sa présence constante une cage sans barreaux. 
Le faste des vêtements, les broderies aux éclats brillants ne sont que les murs ornés d'une prison dorée où la richesse étouffe la liberté. 

C'est une scène hors du temps, une mosaïque de couleurs et de lumières.  Le jaune safran des tuniques, le bleu lapis-lazuli du ciel, le rouge profond du  coussin . 
Chaque motif floral sur le tissu, chaque arabesque de la chaise, est un pétale figé dans un jardin éternel. 
Le faste et la grandeur se mêlent à l'intimité d'un moment, un dialogue muet entre la souveraine et son gardien, sous le regard bienveillant d'un palais qui respire l'histoire.

Pourtant chaque instant est un fardeau. 
Ce n'est pas la joie de gouverner mais le poids d'un rôle qu'elle doit jouer à la perfection. 
Elle porte la couronne mais elle est la prisonnière de son propre pouvoir, la victime de sa grandeur.
Dans cette scène figée où le passé rencontre le présent, les spectateurs ne voient qu'une reine.
Mais moi, je perçois l'écho d'une vie surveillée, d'une âme qui aspire à la liberté. 

           Sur la scène du pouvoir, 
           le plus lourd des fardeaux 
           n'est pas l'or de la couronne 
           Mais le silence imposé à la vie                 qui brille derrière l'éclat. 



 

samedi 6 septembre 2025

L'attente éternelle (Marie Sylvie)

  

 

 




            Parfois une simple photographie raconte une histoire bien plus grande. En contemplant ce mur patiné par les siècles et son horloge solitaire, j'ai vu naître un récit. L'histoire d'une attente, d'un espoir, d'une foi inébranlable malgré le temps qui passe ... et l'édifice qui s'use.
          Parfois, les pierres murmurent l'histoire de la patience. Ce récit en est une ébauche. 




Le mur de pierre est un visage de silence, une épitaphe de patience. Chaque crevasse est une ride du temps, chaque mousse un soupir de l'éternité. La bâtisse ne s'écroule pas d'un coup mais se défait goutte après goutte, telle une prière sans fin que le ciel ne semble pas entendre. 


Et au milieu de ce lent déclin, l'horloge. Elle ne bat pas l'heure, elle mesure l'absence. Ses aiguilles sont des ombres qui rampent sur le cadran, de longues mains qui désignent l'horizon vide où rien n'apparaît. Elles marquent les jours, les mois, les siècles d'un espoir qui ne se nourrit plus que de son propre écho.

Chaque tic-tac est un grain de sable qui glisse, un morceau de foi qui se détache. Le mur attend que l'attendu revienne mais le temps, lui, continue d'avancer, et dans son sillage, il laisse les pierres s'effriter et les cœurs s'alourdir telles des larmes séchées sur un visage de pierre.


             Dans l'intervalle de l'attente, 
             L'édifice se meurt, 
             Mais la foi, elle, reste immobile.


 

samedi 30 août 2025

ENTRE DEUX MONDES (Marie Sylvie)

   



            Ce récit est né d'un mur. 
Un mur brun, basané, quelque part à Città di Castello. 
Sur sa peau rugueuse, une inscription :
"Sono solo e triste,  il 06-1-09 ". 
" Je suis seul et triste, le 06-1-09 ".

Et dans ce cri figé,  j'y ai vu autre chose :
Le ventre arrondi d'une grossesse, la solitude d'un être encore invisible, l'angoisse d'un bébé qui hésite à naître dans un monde abîmé. 
Ce récit est sa voix.
Une voix qui parle depuis l'intérieur, depuis ce lieu secret où l'amour protège mais ne peut retenir, les pensées d'un bébé encore à naître, seul mais enveloppé, qui redoute de franchir la porte vers la vie des hommes. 



     

              Avant les cris, avant les regards, avant même le souffle, il y a ce lieu : Le ventre. Un monde clos, doux, palpitant. 
Et dans ce monde, une conscience s'éveille. 
Elle écoute les échos du dehors, elle devine les blessures de la terre et hésite.


              《 Je suis là, lové dans le velours chaud d'un silence battant. 
Un cœur me berce, un souffle m'enlace. 
Je suis une pensée encore floue, un soupir d'étoile en attente. 
Et pourtant, déjà,  je sens le tumulte derrière la porte.

Le monde des hommes m'appelle mais je n'ai pas envie. 
Je l'entends gronder ce monde. 
Il parle fort, il court vite, il oublie souvent. 
Il salit la terre qui le nourrit, il se bat pour des idées qu'il ne comprend plus.

Moi, je suis bien ici !
Dans ce cocon de chair et de lumière tamisée, je suis seul, oui, mais je suis entier. 
Protégé par l'amour pur d'une mère qui ne doute pas.
Elle me parle sans mots, elle me chante sans voix.

Pourquoi naître si c'est pour respirer un air blessé ?
Pourquoi ouvrir les yeux si c'est pour voir les cieux troués par les bombes ? 
Je suis un rêve encore intact, et le monde des hommes me semble trop vieux pour moi.

Mais peut-être ....
Peut-être qu'un jour je serai la goutte d'eau qui nettoie, le rire qui répare, la main qui refuse de frapper. 

Alors,  doucement, je m'approche de la porte.
Pas pour fuir ce ventre mais pour tenter, malgré tout, d'y semer un peu d'innocence. 》



          Naître, c'est accepter de quitter l'éternité pour apprendre à aimer dans le chaos.



 

samedi 23 août 2025

LÀ OÙ LE SENTIER RESPIRE (Marie Sylvie)

  


  



Le sentier s'ouvre comme une promesse chuchotée, sinueux et tendre, une veine vivante dans le corps de la terre. Il est bordé d'Oliviers, ces sages gardiens immobiles aux bras noueux levés vers le ciel comme des moines en prière murmurant des secrets d'écorce et de lumière comme pour bénir cette traversée. Le soleil,  amant discret, caresse la terre avec une ardeur douce, et l'air s'emplit du parfum enivrant de Fenouil sauvage qui s'élève en volutes légères comme des soupirs d'herbes folles, une invitation à l'abandon, une caresse invisible qui s'insinue dans les pensées, trouble les sens. 
Le chemin serpente, indocile, comme s'il refusait de se laisser dompter. Il s'enroule autour des collines comme une écharpe de poussière, s'enfonce dans les silences, et chaque pas sur sa peau poussiéreuse réveille une mémoire ancienne, un battement oublié dans le cœur du monde. 


Elle avance, portée, bercée. Le rythme est lent, presque cérémoniel. Le soleil glisse sur sa peau, la réchauffe, la dore. Elle ne parle pas  ... elle écoute. Le souffle de son compagnon, chaud et régulier, résonne contre elle comme une forge tranquille. Chaque mouvement est une offrande, chaque frémissement une réponse. Il est là, sous elle, avec elle, en elle. 

Ils avancent,  deux corps en mouvement, en rythme, en silence. Chaque pas est un battement de cœur, chaque souffle un soupir. Le sol craque sous les sabots mais c'est un craquement feutré,  presque complice comme un secret partagé. Le vent joue dans ses mèches folles, effleure les courbes, soulève ses pensées. Elle rit parfois d'un rire discret comme si elle partageait une confidence avec lui ... une confidence sans mots, faite de frissons et de regards invisibles. 

Leurs corps s'accordent comme deux notes d'un même chant. Elle ferme les yeux, s'abandonne à cette danse sans musique, à cette étreinte sans bras. Le monde devient flou, réduit à la sente, aux odeurs, aux frissons. Elle sent son cœur battre contre sa poitrine mais aussi sur le flanc de l'autre. Deux cœurs, une pulsation. Deux âmes, une cadence. 

Il est puissant, elle est souple. Il mène, elle guide. Leurs ombres s'entrelacent sur la terre argenté, dessinant un ballet ancien, presque sacré. Le paysage devient un théâtre, et eux, des amants d'un jour, les acteurs d'un désir muet. Il n'y a pas de mots, seulement des frissons, des gestes qui parlent une langue oubliée, des silences qui brûlent plus forts que les cris.

Elle se penche, s'abandonne, enlace son compagnon avec une tendresse brûlante. Sa peau frôle la sienne, ses jambes l'enserrent, son cœur bat contre son flanc. Ensemble, ils ne font qu'un. Une fusion, une ivresse. Le monde autour s'efface, ne reste que cette cadence, ce souffle partagé, cette passion qui ne demande rien sinon d'être vécue.

Et lorsque enfin le sentier s'élargit, dévoilant l'horizon doré, lorsqu'elle rouvre les yeux, le paysage s'est  transformé. Rien n'a changé ... pourtant tout est différent. Le sentier est toujours là, sauvage et parfumé. Mais elle le voit avec les yeux d'une femme amoureuse, non pas d'un homme mais de son cheval. Ce compagnon noble et sauvage, ce frère d'âme, ce feu vivant sous sa peau. 
On comprend. Ce n'était pas un homme. Ce n'était pas une étreinte humaine. C'était elle, la cavalière et son magnifique étalon noir qui l'emporte, l'élève, la consume. 

Elle sourit. Elle est cavalière. Elle est amante. Elle est libre. Une femme libre et amoureuse, chevauchant son désir comme on chevauche le vent.



           Ce n'est pas l'homme qui l'a éveillée mais le galop d'un cœur sauvage sous sa peau. Là, dans la poussière dorée, elle n'a pas aimé : Elle s'est souvenue qu'elle était libre.


 

samedi 16 août 2025

TULIPES ET BOTTES (Marie Sylvie)

  


 

           Ce poème, "Tulipes et Bottes ", inspiré par cette aquarelle de Tulipes alignées aux têtes fleuries orange et rouge, est le souvenir inattendu d'une soirée country en discothèque, où des cowboys dansaient en ligne avec une discipline fascinante. Les Tulipes deviennent les danseurs et leurs couleurs traduisent la tension d'une bagarre. L'image se transforme alors en métaphore visuelle entre ordre et chaos, beauté et brutalité. 
Ce poème est le reflet de cette résonance intime entre l'aquarelle et le souvenir.




          TULIPES ET BOTTES 


Elles sont là, droites tels des cowboys en ligne,
Les Tulipes, têtes hautes, prêtes à claquer le rythme. 
Orange feu, rouge colère, 
Elles dansent sans bouger mais brûlent de lumière. 


Un parquet de papier, un silence de duel 
Et pourtant dans l'ombre résonne l'appel.
Les bottes frappent, les chapeaux se penchent, 
La poussière s'élève, la tension se déclenche.


Un regard de trop, une parole qui glisse, 
Et la danse devient bagarre, la grâce se hérisse. 
Mais même dans le tumulte, une étrange unité, 
Telles les fleurs qui se battent pour rester alignées. 


Elles ne sont pas des soldats ni des réformées,
Mais des âmes en costume prêtes à s'enflammer.
Et l'aquarelle, douce et tremblante,
Garde le souvenir d'une nuit vibrante.


samedi 9 août 2025

LE MENHIR ET LES REGARDS ABSENTS (Marie Sylvie)

 



     Lorsque j'ai vu cette photographie, je n'y ai pas vu qu'un monument historique. Le Menhir m'a parlé d'indifférence, celle gravée dans la pierre, celle que j'ai connu enfant. 

J'ai choisi de répondre à ce défi non par une simple description, mais comme une métaphore intime. 

Ce texte est un morceau de moi, une résonnance entre ce Menhir figé dans son silence sacré et les adultes pétrifiés dans leur regard, alors que gamine, je peinais dans un champ de carottes sous leurs yeux sans secours. Ce Menhir, classé et protégé, m'a rappelé à quel point on sait préserver les pierres ... mais rarement les enfants blessés.

Je vous invite à lire ce texte comme un cri feutré, un miroir que j'ai tendu à cette photographie pour y projeter ce que l' Histoire oublie parfois de dire : Que l'indifférence, elle n'est pas que dans les monuments. Elle est dans les silences complices .....



 Je suis une enfant que l'on n'a pas vue. 
Un Dimanche, je binais, le dos courbé sur un champ de carottes qui n'en finissait pas. Le soleil s'étirait sur l'asphalte, les voitures passaient, des visages défilaient derrière les vitres, tous braqués sur moi ... mais aucun ne s'est arrêté. Pas même l'estafette bleue marine, pleine de regard figés. J'avais 10 ans à peine. Et eux, ils avaient des yeux ... mais pas de cœur. 

Je suis cette silhouette absurde dans un décor de grand, une scène théâtale d'un scandale muet où l'indifférence joue le rôle principal. Chaque pas de motte que je retournais semblait dire : Regardez-moi. Mais ils ne l'ont pas fait. Ils ont préféré le silence, la fuite dans la normalité comme si la souffrance enfantine ne méritait ni le frisson ni le cri.

Je suis la voix que le Menhir ne pourra jamais avoir. 
Un monument figé, classé, protégé. Intouchable. Lui, on le couvre de respect, on le borde de pancartes et de barrières. Moi, on m'a laissée nue dans l'oubli. Je ne lui en veux pas au Menhir, cette statue regardée comme noble ou sacré, que je vois, moi, comme un témoin muet, symbole d'un monde qui regarde sans agir, cette statue de pierre froide comme l'indifférence des adultes. Non, je ne lui en veux pas au Menhir, ce n'est pas lui qui a décidé.  Je lui en veux à l'espèce humaine, à ceux qui savent trop bien faire la part des choses....lorsque ces choses sont de pierre, pas de chair.

Je suis la mémoire vive d'une société trop froide. 
Je suis l'enfant et la femme, celle qui voit encore des enfants subir ... en silence, dans l'ombre, à l'abri des journaux et des lois. Et pourtant, je ne suis pas en colère. Je suis le regard qui éclaire, la parole qui dérange, la tendresse lucide. Je suis ce refus de laisser ce monde continuer à détourner les yeux. 



 

samedi 2 août 2025

REBONDS D' ÉVEIL (Marie Sylvie)

  


En regardant cette photographie de cet enfant qui saute sur un ballon trampoline, une mémoire enfouie est remontée à moi. Un souvenir vif, suspendu qui a donné naissance à ce récit. 
L'image du saut, du corps figé dans les airs, m'a rappelé une expérience que j'ai vécu après une tentative d'assassinat....trois jours entre ciel et terre, dans un coma que j'ai perçu comme une série d'évanouissements et de retours à la conscience, chaque éveil ressemblant à un rebond sur un tremplin céleste. 
Cette photographie est devenu pour moi une métaphore visuelle puissante, presque mystique, de cette traversée de l'indicible.
Mon texte nous plonge entre souffle et silence, vie et absence, avec un miroir en guise de témoin  ....



       Ce jour-là, tout a basculé. Une main, un geste, une violence inouïe tentèrent de briser mes cervicales comme pour m'effacer. Le souffle arraché, le corps glacé ... et puis plus rien. 

Trois jours suspendue entre ciel et terre. Ni ici, ni ailleurs, comme un bond sur un trampoline cosmique, projetée dans les airs, le corps figé à l'apogée, le souffle suspendu dans un entre-deux. Chaque rebond était un éveil furtif, fragile. À peine la conscience revenue, le simple fait de vouloir remuer me faisait rechuter comme une chute au ralenti vers l'évanouissement. 

La médecine appelle cela  " Coma", mais moi, je l'ai vécu comme une suite de départs et de retours, comme une série de sauts vertigineux entre vie et non-vie. Une boucle étrange, haletante, où chaque élan vers la lucidité se heurtait à une brume invisible, où à chaque éclair de conscience, l'envie de bouger me replongeait dans l'obscurité. Un va-et-vient incessant entre le néant et la douleur. 

Dans ce brouillard d'âme, cette errance floue, une image m'a marquée, une scène m'est restée gravée comme un souvenir vif, presque irréelle :
Mon époux, penché sur moi, un miroir de poche en main. Cette vision de ce geste m'a interpellée, hantée, obsédée même. Pourquoi ce miroir ? 
Pourquoi cette image si précise dans un monde aussi incertain ?
Pourquoi cette scène gravée alors que tout était censé être effacé ?

À mon réveil, dans ce monde qui ne ressemblait plus tout à fait au précédent, je lui ai posé la question. Il m'a expliqué simplement, doucement, qu'en cas de doute entre vie et mort, on place le miroir sous le nez. Si la vie est encore là, même fragile, une fine buée se dépose sur le verre.
Cette révélation m'a touchée au plus profond car au cœur de ce passage flou entre deux monde, ce miroir était peut-être le symbole de mon souffle encore présent. Une étincelle de vie que lui, mon pilier,  avait tenté de percevoir. 

Et dans cet entre-deux, j'ai compris qu'il y a des éveils qui ne sont pas que physiques. Ce sont des éclats d'âme qui interrogent notre esprit, nos liens, nos vérités. 
J'ai ouvert les yeux sur l'essentiel. 


 

samedi 26 juillet 2025

LA MÉTAMORPHORE À LA POMME DE TERRE (Marie Sylvie)

 



Lors d'une visite médicale scolaire durant mon enfance, il fut constaté que ma maigreur était prononcée. Quelques jours plus tard, deux figures masculines d'un charisme certain se présentèrent chez mes parents. Ils exigèrent à mon père, qui les accueillit, qu'à leur prochaine visite, quinze jours plus tard, j'eusse une apparence " remplumée" , dénuée de toute marque de sous-nutrition.

Mon père conçut alors l'idée de me faire consommer des pommes de terre. Celles-ci à l'époque, étaient exclusivement réservées à l'alimentation porcine, base de la confection des exquises Rillettes Sarthoises. Ainsi, bien que végétarienne,  je me vis contrainte d'ingérer des pommes de terre frites. Je découvrais alors les frites, lesquelles,  dépourvues de sel, s'avéraient fort insipides. 

Cette enseigne bigarrée, dépeignant trois matrones aux formes généreuses, me remémore ce souvenir cuisant où après une quinzaine de jours passée à être nourrie exclusivement de frites, moi, "Fil de Fer", j'avais non seulement acquis un fessier plus opulent mais surtout je ne disposais plus d'aucun vêtement à ma taille.

Lorsque l'on maigrit, il est toujours possible de porter des habits trop grands, trop amples mais lorsque l'on grossit, la garde-robe devient inadaptée, ne permettant plus d'enfiler quoi que ce soit. Je fus ainsi contrainte d'achever mon année scolaire vêtue d'un bleu de travail issu de l'usine d' Antoigné, le budget familial ne permettant point de pourvoir à mon nouvel accoutrement !

Parfois, un simple aliment, loin de nourrir l'âme, redessine le corps et bouscule le quotidien. 
Les plus singulières métamorphoses s'inscrivent quelques fois dans le secret des assiettes, sculptant au-delà du corps, le fil de nos souvenirs. 


samedi 19 juillet 2025

LA PATRONNE (Marie Sylvie)

   

Elle se tenait droite et fière, dans un coin de la pièce telle une présence silencieuse mais souveraine. Pas un souffle, pas un geste ne semblait se faire sans qu'elle ne l'ait ordonné. Même mon oncle Jacky, avec son sourire et ses gestes lents, connaissait ses exigences : Il attendait le signal pour sortir les chèvres,  les nourrir, les rentrer dans l'étable. Mamie Marcelle, elle, surveillait ses moindres caprices pour que le chaudron soit alimenté, que la lessive mijote comme il faut, que les desserts dores sans brûler. 

À chaque instant,  elle imposait son rythme,  jamais tyrannique, toujours juste. On l'a respectait, la Patronne,  sans jamais oser la contredire. Même lorsque j'étais en vacances, son absence se faisait ressentir comme un silence trop profond. 
Un soir, j'ai crus bien faire, croyant lui donner sa voix  ... mais elle chanta toute la nuit, et la maison en fut troublée. Il fallut alors confier ses fonctions à une plus petite servante, bien moins noble, mais plus discrète. 

Au fil du temps, elle devint bien plus qu'une maîtresse du quotidien : Elle était le témoin de notre histoire, le métronome des jours heureux. 
Lorsque l'on m'offrit la possibilité de choisir un souvenir de mamie Marcelle, ce fut elle sans hésitation. Elle appartenait à notre mémoire commune. 

Mais un jour,  elle fut arrachée à moi. Volée. Disparue. Et pour la première fois, je pleurai non pas un objet mais une présence, un cœur régulier et fidèle. 

C'est ainsi que j'ai perdu La Patronne, notre grande horloge comtoise.


Certaines présences ne s'éteignent jamais, elles battent encore dans le silence. 
Elle n'avait pas de cœur mais son tic-tac contenait le mien.
Le temps n'a jamais eu de visage sauf celui qu'elle portait fièrement.
Certains objets ont une âme. 


 

samedi 12 juillet 2025

LE FRISSON D'APRÈS (Marie Sylvie)

   


Cette photographie m'évoque l'hypothermie, ce froid muet qui serre la gorge. Elle murmure ce souvenir d'un froid qui empêche de respirer. 

Je ne me souviens pas de la douleur, pas au début. Seulement de cette chaleur brutale, viscérale, comme une fière née de la panique. Mon cœur, tambour en guerre, frappait chaque seconde comme s'il pouvait repousser la mort elle-même. Mon corps, trahi et meurtri, s'était mué en animal. L'adrénaline fuyait mes veines comme de la lave, me prêtant une force venue d'ailleurs. Mon souffle était court, rapide mais vivant. Vivant. 

Puis vint le silence. 
Lorsque la porte s'est refermée derrière moi, chez moi, lorsque les échos de la violence se sont tus  ... le feu s'est éteint.
Et le froid est venu, pas un froid de saison mais un froid ancien, intime. 
Un froid qui se glisse sous la peau, qui se tapit au creux des os et qui lentement t'arrache la voix. 
Chaque inspiration était une bataille, chaque souffle un pic acéré. Mes mains tremblaient comme si l'univers en moi se désintégrait. J'avais si froid que même mes larmes semblaient hésiter à couler. J'étais en vie ... mais plus tout à fait. 

J'avais si froid  ... jusqu'à ce que mes forces se taisent. 
J'ai perdu la notion du temps : Quelques jours ? Quelques semaines ? Peut-être quelques mois. Il n'y avait plus de repère, seulement ce vide glacé qui m'a volée à moi-même. 

Lorsque mes paupières se sont enfin ouvertes, ce n'était pas un réveil mais c'était une résurgence. Une remontée lente depuis les profondeurs. Mon corps était déserté comme une terre après l'orage. Mes lèvres fendillées murmuraient à peine, et chaque muscle criait  famine d'eau, de chaleur, de vie.

Et pourtant, je respirais encore. Mais depuis ... il fait froid même sous ce soleil de Juillet, même sous les draps enroulés tel un cocon.
Ce froid là n'est plus une température. C'est une mémoire. Une empreinte sous la peau, une cicatrice invisible que ni le temps ni les saisons n'effacent. 


 

samedi 5 juillet 2025

LE MOLLETON ÉCARLATE ET LA FUREUR DE AUGUSTE (Marie Sylvie)

  

 



Alors que je regagnais mon domicile en compagnie de Catherine, une camarade avec laquelle je partageais les bancs de l'école tenue par les Sœurs, le véhicule de transport scolaire nous déposait invariablement en lisière de route. Il nous incombait alors de parcourir le dernier kilomètre à pied, le long de cette modeste voie campagnarde. C'est au cours de l'une de ces promenades que nous fûmes les témoins d'une scène des plus singulières : Un bovin pourchassant avec une vélocité surprenante un tracteur. Dans notre candeur enfantine, nous supposâmes que le paysan avait dû priver son animal d'eau ou de nourriture pour que celui-ci manifeste une telle ardeur à sa poursuite. 

Une fois parvenues à la demeure de Catherine, l'hilarité nous tenaillait encore. Sa mère, Cécile, une figure maternelle que j'aurais souhaité avoir tant sa douceur était manifeste, nous interrogea naturellement sur la cause de notre frénésie joyeuse. Nous lui relatâmes alors, avec force détails,  comment cet animal bovin poursuivait avec une telle ardeur le tracteur du Père Léon.

Elle leva les bras au ciel, geste d'exaspération mêlée d'une certaine tendresse, et nous narra l'intrépidité téméraire de Léon. Ce dernier avait eu l'audace d'emprunter le Masser-Ferguson écarlate pour abreuver Auguste, le taureau. Elle nous expliqua alors, non sans un brin d'humour, que se déplacer à bord d'un tracteur rouge équivalait à agiter un molleton de même couleur devant la bête. 

Nous nous précipitâmes aussitôt vers le champ adjacent, où nous découvrîmes le petit tracteur, gisant sur le flanc. Fort heureusement, Léon avait eu la prestesse de sauter du véhicule et de se refugier au sommet d'un arbre tant Auguste s'était montré excité. Seuls des dommages matériels furent à déplorer, conséquence de la vive sensibilité de Auguste à la couleur rouge ! 


 

samedi 28 juin 2025

MOI IRE-AUX-GRIFF MAÎTRE DU LAMBRIS (Marie Sylvie)

   


  


Je suis Ire-aux-griff, ce nom est mon destin, 
Mes griffes acérées, mon doux festin,
Lorsque ma patte s'étire, le cœur léger, 
C'est vers le lambris que mon être est tiré. 


Ce bois si poli, d'un brin si profond, 
Offre à mes talents un terrain fécond. 
Mes maîtresses papattes, avec grâce et aplomb, 
Dessinent des fresques à chaque bond. 


On me dit :" Non ! Ire-aux-griff ! Arrête là !"
Une voix humaine, si futile, si lasse.
Je tourne ma tête, un regard de satin 
Et je continue, mon art est sans fin.


La fessée ? Un murmure, un doux vent d'Été,
Qui chatouille ma queue sans vraiment m'inquiéter. 
Mon destin est gravé, sur ce mur de bois, 
Chaque raie, une victoire, chaque bruit, une joie.


Je suis l'architecte, le sculpteur du foyer, 
Mon œuvre s'étale, sans jamais dévier. 
Des arabesques fines, des motifs audacieux, 
Le lambris s'embellit sous mes doigts gracieux. 


Alors oui, je l'avoue,  j'aime ce lambris, 
Plus que mes croquettes, plus que mes amis.
Un chef-d'œuvre chaque jour, une nouvelle esquisse, 
Je suis Ire-aux-griff, et c'est ma plus belle office ! 


Et si l'on me chasse, d'un air outragé, 
Je ronronne doucement, sans être fâché 
Car je sais que demain, au lever du soleil, 
Le lambris m'attend pour un nouveau réveil ! 


 

samedi 21 juin 2025

LEÇON D'UN BANC DE KRILLS (Marie Sylvie)

   

Dans l'immensité froide, un ballet se dessine, 
Des millions d'âmes minuscules s'alignent. 
Sans chef, sans parole, sans quête de pouvoir, 
Elles dansent ensemble sans jamais se vouloir. 


Pas de drapeau, de frontière ou de nom,
Juste l'instinct doux d'une union en fusion. 
Le krill sait, sans orgueil, sans rancune, 
Que sa force naît de la tribu, de la lune.


Et l'homme,  grand penseur de sa propre grandeur,
Qui bâtit des empires au prix de la douleur,
Se drape d'intelligence et d'artifices brillants
Mais trébuche souvent sur ces égos grondants. 


Lui qui rêve d'ascension, de conquêtes, de lois, 
Oublie que la grandeur ne naît pas dans la voix
Mais dans l'élan du cœur, discret, silencieux 
Tel un krill anonyme voguant sous les cieux. 


Alors, qui est sage ? Qui est le plus fort ?
Celui qui s'isole ou celui qui s'accorde ?
Peut-être qu'un jour l'homme comprendra 
Qu'être ensemble, vraiment, c'est le plus grand des pas .


 

samedi 14 juin 2025

ODE AU TEMPS PERDU (Marie Sylvie)

  


Nous avions jadis, au creux de l'instant, 
Une lente ivresse, un rêve errant. 
L'éclat fugace des heures offertes 
Telle une danse libre et imparfaite. 


Mais voici qu'aujourd'hui l'on compte, l'on presse,
Chaque seconde pliée en allégeance,
Un souffle dicté par l'urgence 
Sans jamais goûter à l'ivresse.


Ô temps perdu, non pas oublié 
Mais effacé sous l'horloge sévère 
Où l'homme troque l'éphémère 
Pour un futur trop bien planifié. 


Que revienne l'éclat d'autan,
La jubilation d'un temps flottant,
Retrouvons l'art de flâner, 
De contempler sans regret 
La douce errance d'une pensée 
Sans maître ni projet.


 

samedi 7 juin 2025

MA TARTE AUX LARMES SALÉES (Marie Sylvie)

  


 

Aujourd'hui, j'ai fait ma première tarte,
Toute seule telle une grande artiste !
J'ai pris du sucre, j'ai pris de la farine, 
Tout allait bien dans la cuisine. 

Mais oh là là,  quelle surprise !
Quand papa l'a goûté, il s'est figé  ...
J'ai voulu régaler la famille, 
Mais j'ai porté atteinte à leurs papilles !


J'avais pourtant suivi la recette, 
Sans tricher, sans faire de bêtises ....
Mais le sucre et le sel, mes amis, 
Se sont échangés dans ma main distraite !


Papa a bu trois grands verres d'eau,
Maman a caché sa grimace, 
Moi, j'ai croqué sans dire un mot ....
Oh zut, c'est pire que ce que je pensais !

Mais oh là là, quelle surprise !
Quand papa l'a goûté, il s'est figé  ...
J'ai voulu régaler la famille, 
Mais j'ai porté atteinte à leurs papilles !


Défi #894

   Vous nous ferez ça en un éclair !     Tonnerre