Walrus ; Vegas sur sarthe ; Nana Fafo ; joye ;
Nous avons confié nos
deux fils à des nounous jusqu'à ce qu'ils aillent à l'école
maternelle. Nos trois petits enfants, eux, ont été confiés par
leurs parents à des assistantes maternelles. Autre temps, autre
vocable, officiellement depuis une loi votée en 1977. Et je préfère
encore ce dernier à celui de « gardienne d'enfant »
Gardienne : gardienne de prison, gardienne d'oies ...J'ai
même lu qu'il existait, après les pouponnières qui revenaient trop
cher, des centres d'élevage d'enfant. C'est fou. C'est moche. Des
termes peu adaptés aux enfants selon moi. Qui semblent les reléguer
à un niveau inférieur.
En revanche, nounou, il
paraît que l'appellation a un côté péjoratif. Qu'elle est
réductrice. Qu'elle ne donne pas une belle image de ce métier vieux
comme le monde. Il fallait bien inventer une circonlocution pour
faire « plus mieux » ! Comme technicienne de surface
pour femme de ménage. Être à la mode, politiquement correct, dans
l'air du temps quoi, c'était impératif il faut croire. Moi j'aime
bien le mot « nounou » : c'est doux. C'est plein de
tendresse. Alors je l'utilise tout le temps n'en déplaise.
A la campagne, pas de nounous quand j'étais gamine. A part dans les grandes familles bourgeoises qui avaient du personnel à disposition. On se débrouillait comme on pouvait pour garder ou faire garder ses enfants quand c'était nécessaire. Les bébés dans leur couffin étaient portés dans les prés et les champs. Ils ne risquaient pas de bouger, tout emmaillotés qu'ils étaient dans leurs langes et couvertures molletonnées. Et puis c'était pratique pour que la maman puisse allaiter. Cela devenait problématique ensuite quand l'enfant marchait et ne pouvait pas encore se rendre utile. Il était encombrant et risquait de se blesser à tout moment. Alors on cherchait dans le village quelque vieille grand-mère qui ne pouvait plus travailler et on le lui laissait pour un matin, un après midi parfois pour la journée entière.
C'est ainsi que j'ai passé du temps chez mémé Toinette depuis mes deux-trois ans jusqu'à ce que j'aille à l'école. Je garde un souvenir ému de cette femme. Elle s'occupait bien de moi. Et surtout elle me racontait des histoires. Des histoires vraies. Du moins celles concernant les loups. Je ne sais plus si j'avais peur mais en tout cas j'étais particulièrement friande de ces récits là. Je les réclamais tous les jours. Comme elle devait radoter un peu ça ne la gênait pas de répéter. Je crois même que ça lui faisait plaisir d'avoir une oreille attentive. Elle me parlait de ses années de jeunesse, aux environs de 1890 quand elle était bergère dans son village situé au pied d'une colline. Dans ces années là, les loups sévissaient en Corrèze. Elle était, à ses dires, régulièrement confrontée à l'animal qui cherchait à lui dérober un agneau. Elle m'expliquait qu'elle le faisait fuir en tapant ses sabots de bois l'un contre l'autre. Elle évoquait aussi très souvent le diable qui lui faisait, je pense, encore plus peur que le loup. Elle se signait de façon répétitive et à la va vite pour que le mot lui même ne l'atteigne pas. Je me souviens très bien de ses gestes désordonnés d'alors.
Mes parents apportaient mes repas j'imagine car la vieille femme se nourrissait surtout de soupe n'ayant plus de dents. Mais elle avait un péché mignon. Une gourmandise. Elle aimait les sardines à l'huile. Quand je la voyais sortir une boîte de son placard, je me précipitais. Jamais je n'ai mangé de meilleures sardines que chez Mémé Toinette, ma nounou pour de faux mais que je n'oublie pas comme tous ces braves gens qui ont fait de mon enfance une période de ma vie riche en découvertes et apprentissages.
Areu areu
Mon papa
De moi est gaga
Je suis son bébé
Il m'amène chez ma nounou
Avec mes joujoux
Elle me donne du lolo
Et je vais faire dodo
Elle m'apprend pipi
Caca et popo
Sans trop de chichi
Avec sourires à gogo
Elle me fait coucou
Et je lâche mon doudou
Me lave si je suis cracra
Et je l'appelle tata !
Quand je fais le foufou
Et que je joue du tamtam
Je ne suis plus son chouchou
Mais si elle dit miam miam
Je fais des glouglous
Qui attirent son petit toutou
Et si j'ai un petit bobo
Vite, un bonbon
Un sourire de tonton
Mais on entend "pan pan !"
C'est l'heure de ma maman !
Areu areu
Je suis heu-reux !
Je me rappelle avoir parlé de nounou ici même (enfin, il y a longtemps, dans la fraction sous Canalblog au temps béni où celui-ci, en dehors de quelques ennuis de serveur, donnait entière satisfaction).
J'ai retrouvé la chose : La triste histoire du doudou Raoul.
Je suis d'une génération où les nounous étaient rares : on les appelait des nurses, elles étaient généralement anglaises et n'œuvraient que dans les milieux aisés. Les autres n'en avaient pas besoin : la grande majorité des femmes ne travaillaient pas et élevaient leurs rejetons.
Remarque accessoire : à cette époque, les ménages avec un seul salaire avaient les mêmes problèmes de fin de mois (ou plus exactement de quinzaine) que ceux d'aujourd'hui avec deux...
Donc, je n'ai pas eu de nounou et je n'y ai pas eu recours pour mes enfants non plus.
Alors, que voulez-vous que je vous en dise ?
Très
tôt je m'suis rendu compte que ça s'rait pas d'la tarte!
Même
sans dents j'aurais préféré une tarte aux noyaux de cerises plutôt
que ce morceau d'caoutchouc sensé épargner le téton maternel mais
qui n'en avait ni le velouté, ni le goût et encore moins ce je ne
sais quoi d'indéfinissable qui vous fait monter aux rideaux avant de
descendre au fond d'la couche.
Si
j'avais eu l'choix entre l'caoutchouc et une grosse mamelle de
nourrice même moustachue j'aurais pas hésité une seconde.
De
mal en pis et après des jours d'intense mastication - c'que
j'appelle téter et s'entêter - j'me suis rendu à l'évidence:
c'était pas comestible.
Si
on m'avait demandé mon avis je serais né plus tard; j'aurais au
moins connu le frisson du danger et cette ivresse de la tétine gazée
à l'oxyde d'éthylène, cette même saloperie qui donna aux poilus
d'la grande guerre ce fameux p'tit goût d'moutarde.
C'est
fastoche de critiquer aujourd'hui le plastoc et le “bisphénol A”
quand on n'a pas connu l'biberon en verre et découvert avec horreur
que ces machins qu'on vient d'cramer en deux secondes c'étaient des
doigts.
Tenir...
il fallait tenir le biberon et tenir bon pour espérer un jour
ressembler à sa frangine qu'on autorisait à s'enfourner toute seule
- comme une grande - une cuillère de potage dans l'oreille.
Moi
qui aspirais plus au repos que leur mélange dopé à la blédine, je
trouvais que la barre était déjà haute pour mon âge.
Pourtant
les grands prenaient un plaisir sadique à la monter plus haut à
chaque progrès réalisé: d'abord la tétine monotrou, puis à deux
trous, puis à trois trous - façon ocarina - et le fameux rototo
obligatoire, celui qui cocote, qui arrose au large mais qui soulage
tellement les adultes.
A
cinq semaines - soit un nombre incalculable de rototos - constatant
qu'on me foutrait jamais la paix je décidai de faire la gueule: les
grands appelaient ça un sourire et jusqu'à ce jour je ne les ai
jamais contredits.
Mis
à part le faux sourire et le Areu que j'avais assimilé pour leur
faire plaisir je m'exprimais maintenant en Grouic de cochon et
sifflements de mainate que mon entourage interprétait à sa guise;
de toute manière mon avis importait peu.
A
l'échelle du chiard que j'étais, cinq semaines ça faisait déjà
un bail, alors quand on m'a expliqué qu'j'm'assoirais dans six mois
j'ai compris qu'y s'passerait du temps et des centaines de rototos
avant d'avoir le plaisir indicible de tasser ma couche avec tout
c'qu'y a dedans...
S'accrocher...
y fallait s'accrocher si j'voulais un jour être grand comme les
grands, avoir le même appareil dentaire que ma cousine Philomène,
des poils roux comme Oncle Hubert et goûter au fameux boeuf-carottes
de tante Marthe.
Mais
s'accrocher, c'est facile à dire quand tout bouge autour de vous et
qu'on vous a pas rancardé sur les règles.
Les
grands appellent ça l'expérience.
Alors
dans l'genre expérience j'me suis frotté au déambulateur de pépé,
à mon ch'val à bascule et aux soutifs à armature de tante Marthe.
Les
grands pensaient que j'souriais à chaque tentative mais moi j'sais
bien que j'faisais la gueule.
Chez
nous l'dimanche, les vieux sortaient les grands crûs et s'les
descendaient sans même un regard pour celui qui biberonnait le
picrate du père Guigoz.
Quand
j'pense à tous les Ruchotte-Chambertin qui m'sont passés sous l'nez
et que j'reverrai plus jamais, ça m'fout la glotte en capilotade.
Pour
nous les chiards, le dimanche c'était la barboteuse bouffante avec
les p'tits élastocs qui serrent les cuisses à vous couper l'sang...
mais comme j'voudrais pas casser l'moral aux chiards qui viendront
après moi, j'préfère arrêter ici les souvenirs cuisants.
J'leur
souhaite bien du plaisir! Parait qu'maintenant les tétines sont en
silicone et les seins aussi, d'ailleurs!
Alors
j'ai qu'un mot à leur dire, à tous ceux qui décideraient
d'poursuivre l'aventure dans ce monde implacable: “Tenébon”.