Walrus ; Marie Sylvie ; Yvanne ; Kate ; Adrienne ;
Au secours !
La qualité se perd
La qualité, la belle qualité
La quantité l’a remplacée
L’armada synthétique a envahi la terre
A conquis les tissus, le cuivre, le bois, le fer
Sa débauche a remplacé le verre
On en trouve de partout
Dans les tripotées de pulls over
Dans les denrées alimentaires
Le plastique sème ses atomes partout
Sa quantité prolifère
On ne peut plus s’en passer
Adepte de la couture
Des beaux tissus, itou
Ne cherche plus de tissu en pilou
De laine des Pyrénées
Ou de coton mercerisé
Tu n’en trouveras plus
Ou à un coût très cher
Ou pas du tout
Oui, la qualité, la belle qualité se perd
La polaire est devenue tabou
Il est vrai que la polaire a du mérite
En te déshabillant tu crépites
Et au moins elle tient chaud
Mais tous ces tissus de filoselle
Venus de Chine à l’instar de la soie
Mais qui ne valent pas un clou
Qui n’ont pas de tenue, qui sont mous
Mais qui ne sont pas chers
Ont envahi les, les boutiques
Et les jeunes surtout se précipitent
Pour en avoir beaucoup
Pour en avoir des quantités
Au détriment de la qualité
Pour tous les jours en changer
Et puis jeter
Difficile de faire marche arrière
Mais il n’y a rien à faire
La qualité, la belle qualité se perd
C’est un luxe et c’est trop cher
À l’âge où on croit les adultes omniscients, mini-Adrienne était intriguée par deux petites phrases de son grand-père qui lui semblaient contradictoires.
« La qualité se paie », disait-il, quand un tissu bon marché n’avait aucune tenue.
On ne devait donc pas se plaindre, on avait « regardé à ses sous » et on était refaits, c’était dans l’ordre des choses.
Mais à côté de ça, il y avait cette autre petite phrase, qui disait que « ce n’est pas parce que c’est cher que c’est bon ! »
Il fallait donc avoir l’œil – le sien, de préférence, le regard de l’expert – pour évaluer si c’était de la camelote bon marché, l’affaire du siècle ou du brol de luxe ;-)
Qu'alité je ne puisse tenir
Une simple conversation
Avec la fièvre qui me fait frémir
Lasse mon entourage
Irrite ma fille et mon garçon
Tenus d'être sages
Et débrouillards
Qualités qui se font rares...
Mais la grippe
À moi s'agrippe
Mes enfants
Soyez patients !
Madame Jolibois, toujours sous le coup des récentes frasques de Madame Vieillefosse, reste un moment hébétée en entendant les paroles de sa fidèle secrétaire Marguerite. Cette dernière vient de la prévenir qu'un ouvrier a demandé à voir sa pensionnaire – Madame Vieillefosse - et l'a aussi avertie qu'un camion avec une pelleteuse stationne devant le portail de la résidence. Assurément Marguerite a dû mal comprendre le camionneur quand il parle de faire un trou dans le parc.
Madame Jolibois se lève et se précipite à la fenêtre de son bureau pour constater de ses propres yeux cette chose incongrue aujourd'hui : une pelleteuse sur un camion devant chez elle.
Elle regarde Madame Vieillefosse, soudain survenue dans la cour. Cette dernière parlemente avec force gestes. La vieille dame est méconnaissable. Elle, si élégante d'habitude est affublée d'un grand ciré noir. Elle a troqué ses escarpins raffinés contre des grosses bottes en caoutchouc et comble de ridicule pour une personne de cette classe elle s'est coiffée d'un chapeau informe que le vent tente de lui arracher.
Quelle n'est pas sa stupéfaction quand elle voit Madame Vieillefosse pousser résolument la barrière du pré qui jouxte le parc de la maison de retraite. A grands renforts de moulinets avec ses bras, elle guide le camionneur afin qu'il pénètre dans la parcelle. Ce serait drôle de l'observer dans cette posture insolite si ne c'était inquiétant.
C'en est trop ! Mais qu'est ce qu'elle fabrique encore cette énergumène s'énerve tout haut la maîtresse de maison, congestionnée. Je préviens sur le champ ses enfants. Remontée comme un coucou, elle saisit vivement le téléphone.
- Allô ? Bonjour. Ici Madame Jolibois, directrice des « Fils d'Argent »
- Oui Madame. Bonjour. Que se passe t-il ?
- A qui ai-je l'honneur ? Je suis bien chez la fille de Madame Vieillefosse ?
- Mais oui. Je suis son gendre. Mon épouse est pour le moment absente.
- Euh..Vous êtes le Sous-Préfet ? Pardon Monsieur le Sous-Préfet. Je suis navrée de vous importuner...
- Au fait Madame. Au fait ! Que se passe t-il donc ? Ma belle-mère est elle indisposée ?
- Non non. Rassurez vous : elle est en pleine forme. Je me dois de vous informer qu'elle a fait venir un camion avec une pelleteuse. Ils sont en ce moment même dans le pré d'à côté afin d'y creuser un trou.
- Qui ils ?
- Eh bien votre belle... enfin Madame Vieillefosse et la pelleteuse. C'est extrêmement ennuyeux et je ne sais que faire.
- Ne faites rien Madame. Ma belle-mère ne vous a pas mise au courant semble t-il. Elle a acheté cette parcelle avec ses propres deniers. Manquant d'espace et de distractions chez vous elle a décidé de faire construire sur le pré une grande salle de divertissements avec notamment une immense salle de bal.
- Mais ce n'est pas possible. Qui va gérer ce nouvel établissement ? Vous imaginez l'impact que cela va avoir sur les pensionnaires ? C'était une maison tranquille ici. En ma qualité de directrice des Fils d'Argent je ne peux accepter ceci. Et de plus, je ne suis pas au courant de cet achat et...
- Justement : un peu trop tranquille. Madame, restez en dehors de tout cela je vous le conseille. Le terrain appartient à ma belle-mère et elle fait bâtir ce qu'elle veut dessus. Je ne vois pas en quoi cela vous concerne. Je vous souhaite le bonjour Madame.
- Marguerite, Marguerite ! C'est impensable. Vous avez entendu ? Ce type est aussi perché que sa belle-mère. Ils vont transformer ma maison en lupanar. Je n'en peux plus Marguerite. Je vais donner ma démission.
Je pourrais adopter le style (ancien) de Renaud pour vous raconter...
J'étais tranquille, j'étais peinard
Dans mon laboratoire
Quand un jour au coin d'un couloir
J'ai rencontré un mec bizarre
Qui m'dit "La Qualité, c'est bon !"
J'y ai dit : "Laisse béton !"
Mais revenons à mon style propre (je veux dire personnel hein, ne vous méprenez pas) !
Je lui ai expliqué que la situation idyllique qu'il me décrivait avait existé dans le passé (j'en avais la preuve dans des dossiers poussiéreux au fond des classeurs hérités de mes prédécesseurs) mais avait disparu, trop chère à maintenir peut-être... Qu'il ne se fasse pas de bile, dans quelques mois, on n'en parlerait plus...
Groβe erreur ! (comme disent les Allemands)
Il avait convaincu de bien, bien, bien, bien mieux placés que moi dans la hiérarchie et la chose (la Qualité avec un grand cul) s'est installée dans toute la Société à grand renfort de budgets spéciaux, de sang, de sueur et de larmes comme aurait dit Winston.
J'ai donc été impliqué bon gré mal gré comme tout le monde dans ce système où tout doit être décrit et enregistré. Jusqu'au jour où Geneviève, ma Sainte Patronne, constatant sans doute elle aussi mon étonnante faculté de délégation du boulot (malgré qu'on m'ait adjoint deux labos supplémentaires), m'a désigné pour gérer tout ça dans son département sans pour autant m'enlever mes labos.
Moi, vous me connaissez : ce que femme veut...
Ça m'a valu, entre autres, une formation à l'audit interne (à Paris) et, en place de J-C de me faire appeler RAQ (responsable de l'assurance qualité).
Pour la première fois de ma vie j'ai vraiment dû travailler (à mi-temps puisque l'autre moitié je devais m'occuper de mes labos... et de la base de données des demandes d'analyse et de leurs résultats et de son interface vers les divers utilisateurs, vous avez connu Oracle et le Standard Query Language ? Toute une époque!).
Tout ce qui se faisait comme procédures et méthodes devait recevoir mon contre-seing ! (mais je "sais là-contre" comme on dit ici : j'avais déjà fait une atteinte de gynécomastie dans le passé) et, bien sûr, j'ai dû piloter l'obtention de la certification ISO par un organisme officiel.
Et, comme j'étais donc devenu, à mon corps défendant, auditeur qualité, ça m'a aussi valu d'aller semer la panique dans divers services du laboratoire et de l'administration centrale.
C'est pénible vous savez de débarquer quelque part tout retourner en assurant que c'est pour le bien du service mais en posant malgré tout des questions saugrenues du genre "Et que faites-vous si l'informatique tombe en panne ?". Vous en recevez des regards en coin (-coin)! Surtout quand vous la posez à des gusses qui gèrent la distribution de produits qui se vendent par cargos entiers dans tous les coins du monde, vous qui n'imaginez même pas comment on peut arriver à vendre quelques carottes à qui que se soit.
T'en foutrai de la Qualité, moi !
Et pourtant... qu'est-ce que je regrette ce temps-là !