Une chaleur écrasante
plombait notre chemin de randonnée. Nous avancions, certains de
trouver bientôt une ombre bienfaisante dans la forêt de sapins que
nous apercevions au loin. Depuis une huitaine de jours nous
suffoquions dans la vallée. Nous avions choisi cet itinéraire de
balade pensant trouver un peu de fraîcheur dans le massif montagneux
corrézien. Nous étions partis tôt avec le pique nique. Rien ne
laissait présager un tel après midi caniculaire à 1000 mètres
d'altitude.
Les derniers kilomètres
avaient été particulièrement pénibles. Heureusement nous avions
prévu suffisamment d'eau pour étancher notre soif. Enfin nous
arrivâmes avec soulagement aux abords de la sapinière.
Nous nous figeâmes. Devant nous, entourée d'arbres, une clairière dévoilait la béance de ses ruines. Nous entrions dans l'ancien petit bourg de Bonnefontaine. Nous avions entendu parler de ce hameau déserté depuis de longues années mais nous ne le connaissions pas. Une torpeur palpable planait sur les maisons abandonnées. Pas le moindre souffle. Le silence. Mais un silence habité et serein. Nous ne parlions pas. Subjugués, nous contemplions les pans de pierre à demi écroulés. La Nature procédait là à un retour à l'état originel et sauvage en encombrant de lierre et de ronces les murs lépreux.
Le premier bâtiment approché semblait être une chapelle avec, encore visible l'emplacement de sa cloche. Blottie contre un rocher elle était encore assez préservée des affres du temps. Autour de nous des granges et des habitations pratiquement démolies avec pour certaines des restes de toit de chaume noircis. Des vieux outils rouillés, vestiges de la vie rurale d'autrefois, dormaient ça et là entre des blocs énormes de granit. Pourquoi ce village avait-il été édifié dans ce chaos rocheux ? Ses habitants le savaient bien sans doute. En découvrant deux même trois fontaines signalées par une croix minérale nous pensions en avoir trouvé la raison : l'eau. Un peu de fraîcheur émanait là des tréfonds de la terre. Un vrai réconfort pour nous ! Alentour des touffes de bruyère violette parsemaient la lande rase. On élevait probablement des moutons dans ces mauvaises parcelles délimitées par des murailles sèches écroulées quand la vie du village était au zénith.
Nous évoquions l'existence des habitants de ce hameau certainement faite d'un dur labeur au plus près de la Nature. Étaient-ils heureux ici dans l'isolement ? Sans doute s'en accommodaient-ils. Nous sentions confusément leur présence. L'empreinte indélébile de leurs pas marquait encore le sol plein d'ornières. On les imaginait s'échinant sans relâche sur leurs lopins ingrats du lever du jour à la nuit tombée. Un destin immuable qu'ils avaient fini par briser en quittant pour toujours ces lieux incommodes et pauvres.
Plongés dans nos pensées et assis sous les ombrages des pins nous n'avions pas remarqué l'assombrissement du ciel. Ce fut soudain. Bientôt des éclairs se mirent à rayer l'horizon. Une grosse averse orageuse s'abattit sur le village. En courant nous allâmes nous abriter dans la seule construction avec encore un reste de toit, la chapelle. Tout avait changé brusquement. Il ne restait plus rien de la sérénité ambiante de notre arrivée. Tout était devenu lugubre et menaçant. Nous attendions la fin de l'orage pour partir quand il nous sembla entendre un son argentin au-dessus de nos têtes, un son grêle mêlé aux grondements du tonnerre. Etait-ce celui de la cloche qui n'était pourtant plus là ? Phénomène surnaturel ? Illusion ? Rêve ? Le mystère devenait étouffant et inquiétant. Qui se jouait de nous ? Les âmes de ce hameau se vengeaient peut être de la profanation occasionnée par notre venue. Nous avons gardé de cette visite un sentiment étrange et n'y sommes jamais retournés.
Les âmes des lieux, de certains lieux, une expérience forte et inoubliable que tu racontes si bien, Yvanne !
RépondreSupprimerJoli récit ! Et pour le mystère du son argentin au-dessus de nos têtes, je pense à un air de tango. J'ai tout bon ou je dois sortir ? ;-)
RépondreSupprimerHaha ! Si je devais sortir chaque fois que j'écris des noqueries (comme disait un de mes fils pour ne pas dire un gros mot) à la suite de tes textes je serais tellement sortie que je ne serais plus là ! cqfd comme dit Kate ;-)
SupprimerC'est malin ! Quitter le décor pour ne plus y retourner juste au moment où l'horreur allait commencer ! Du coup, je reste sur ma fin... ;-)
RépondreSupprimercroyez-vous aux esprits? demandait Jeanette Winterson ce matin avant de commencer son exposé et à ceux qui comme moi répondaient non, elle a dit: mais alors qu'êtes-vous venus chercher ici?
RépondreSupprimeralors existent-ils ou non? faut y retourner!
Je ne sais pas si on peut parler d'esprit mais je crois que l'on laisse quelque chose, une empreinte de soi sur les lieux où l'on a vécu longtemps. C'est ce que je ressens en tout cas. Mais là nous entrons dans le domaine des émotions et de la perception que l'on a de la vie et de la mort.
Supprimerun entre deux , opaques perceptions , magie, onirisme tout y est ensorceleuse écriture
RépondreSupprimerBeau texte. Ensorceleur, oui. Quelle ambiance rendue. Yvanne. Et l’arrivée au village. Superbe. Un doux son de cloche posée sur cette aventure. Argentin. De ces petits rien décrits jolis, et qui font tout.
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