samedi 3 mai 2025

À Madame la Marquise de Sévigné, à la grâce de Dieu. (Yvanne)

   

Ma chère Marquise,


Oserai-je m'entretenir avec vous comme avec une amie ? J'ai trop de respect pour votre personne pour avoir cette audace. J'aimerais simplement que ma lettre vous soit une distraction dans l'ailleurs où , je présume, vous étourdissez les anges par votre talent.

Je n'affûterai pas ma plus belle plume d'oie pour vous écrire. Me croirez vous ? Ces volatiles ne sont plus plumés par de diligentes mains mais par des machines barbares qui les dépouillent en un rien de temps. Ah ! Je vous devine : vous étouffez un petit rire discret derrière votre main joliment gantée de blanc. Je ne vous ferai cependant pas l’offense d’utiliser ce moyen moderne que l’on nomme informatique pour m’adresser à vous. Il reste encore, fort heureusement, un peu d’encre au fond de mon encrier.

Je suis allée à votre rencontre à Grignan où tout parle encore de vous. Je pensais si fort à vous qu’en levant le front, je crus vous apercevoir derrière le carreau de votre chambre. Vous étiez penchée sur votre écritoire et entreteniez une conversation écrite avec l’un de vos nombreux amis, épistoliers fervents tout comme vous. Tantôt sereine, tantôt triste ou amusée, vous laissiez “trotter votre plume la bride sur le cou” pour narrer avec esprit et impertinence les potins du jour.

Il faut que je vous parle du grand malheur qui s’abat sur notre Terre. Il parait que notre planète va à vau-l’eau. Enfin, c’est ce que l’on dit. Je crains en effet que le mal soit profond mais je pense, quant à moi, qu’il faut savoir en toute chose raison garder. Aperçoit-on le ventre blanc d’un poisson qui dérive au milieu de la rivière, ce sont les phosphates des lessives qui l’ont tué; un oiseau gît, raide et ébouriffé au bord du chemin, il s’est nourri de graines empoisonnées par les pesticides des agriculteurs. Les abeilles meurent et nous aussi. Quoi de plus naturel au fond ? Toute mort nous semble suspecte et nous voudrions être éternels. La cryogénisation n’étant pas encore tout à fait universelle, nous devons nous contenter de notre sort de mortels et je dirais : tant mieux ! Je ne suis pas certaine que des resserres à congélateurs agrémentent mieux le décor que nos cimetières où au moins il y a quelques fleurs.

Bien sûr, nous commettons de graves erreurs dans nos façons modernes de vivre et la Nature se venge sans doute. Au lieu d’agir sagement comme nos pères, nous sommes invariablement entraînés dans un tourbillon qui nous fait consommer à outrance et pour essayer de remédier à cela, nous tentons quelques gestes dits “bons pour la planète “. Bein entendu, cela ne suffit pas. Alors, on nous culpabilise, on nous tyrannise, on nous accable, on nous vilipende tant et si bien que nous marchons sur la tête. Le progrès dans tous les domaines nous libère et nous assujettit tout à la fois. Savez vous que nous avons mieux que l’hippogriffe dont vous parliez avec humour à votre fille pour voyager ? Les carrosses de vos périples se sont transformés en voitures automobiles dont les chevaux pétaradent au lieu de hennir.

Je vais aussi vous rapporter la chose la plus surprenante, la plus extraordinaire, la plus époustouflante, enfin la plus abracadabrantesque - non, ma bonne, vous ne connaissez pas ce vocable : il fut inventé par un ancien Président de la République mais je gage que vous l’auriez adopté - donc, la nouvelle la plus curieuse qui soit. Nous avons inventé, figurez-vous des oiseaux qui vrombissent dans le ciel et nous transportent à travers le monde en un rien de temps. Pour nous déplacer nous disposons également de longs serpents qui filent sur des rails à vitesse grand V. D'ailleurs on les nomme TGV. Je suis certaine que vous auriez apprécié ces moyens de locomotion : vous qui vous languissiez de votre fille et deviez endurer des jours et des jours de voyage éreintant pour la rejoindre.

Un inconvénient cependant : nous n’avons plus le temps d’admirer le paysage. Ce dernier, d’ailleurs aurait de quoi vous surprendre. Les éoliennes se sont substituées aux moulins à vent et nos paysans ont déserté les champs, remplacés par de gigantesques monstres rouges ou verts qui semblent aller seuls à travers des étendues dépourvues de haies. Me croirez vous ? Le blé ou autre céréale ou bien encore les légumes ne poussent plus dans certaines terres. A leur place, ma chère, d'immenses étendues de panneaux bleuâtres. On appelle ceci l'électricité photovoltaïque, produite à partir du soleil. C'est ingénieux n'est ce pas ?

Mais voilà ! Il faut compter avec la pollution occasionnée - entre autre - par toutes ces choses nouvelles. Et le climat ? Nous voici en pleine querelle d’experts pour savoir s’il faut vraiment parler de réchauffement climatique. Enfin, ma chère, nous voici cul par dessus tête et l’avenir semble bien morose, tant nous semblons aller de Charybde en Scylla.

Ah il est une chose dont je ne vous parlerai pas tant elle me dépasse. Il s'agit de l'intelligence artificielle. Comment la matière grise – innée - peut elle être fabriquée me demanderiez vous ? Marquise : je ne sais pas mais je dois bien en convenir : cela existe !
Et les voyous des grands chemins ? Les coupe jarret ? Avec la fameuse informatique dont je vous entretenais plus haut, ils sont dépassés. Nous devons lutter maintenant contre les cyber attaques. L'ennemi est ici invisible et néanmoins tellement nuisible !

Mais brisons là, Madame. D’aucuns, comme Monsieur Proust, diraient que j’ai assez “fait ma Sévigné”. Ah ! une dernière chose cependant. Voyez vous, malgré nos technologies modernes et sophistiquées, nous n’avons pas encore réussi à communiquer avec l’au-delà. Et cela me chagrine quelque peu. Je n’ai pas peur de mourir, non, mais j’aimerais savoir ce qui se passe là haut et surtout si l’on s’y divertit. Un petit billet de votre plume serait le bienvenu. Je vous laisse le soin de choisir votre messager. Adieu donc, Marquise . Votre éternelle admiratrice.


15 commentaires:

  1. Ici et maintenant... C'est vrai que le passé avait du charme surtout conté par de nobles et privilégiées personnes... Mais la condition des pauvres et des femmes et des femmes pauvres et des pauvres femmes dont mes ascendants ont fait partie... ne m’inspirent que ce simple et bête "ici et maintenant", chère Yvanne ! Et surtout, bravo pour ton beau brin de plume d’épistolière "2.0"✒️

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Hélas non Kate. Je ne suis pas du soir. Je me couche comme les poules. Il était question de la Marquise ? J'ai beaucoup de documentation sur elle et ses écrits. Notamment un livre qui concerne mon ancien métier. ;-)

      Supprimer
    2. C’était sur des écrivains d’origine rurale, notamment Christian Signol, Sandrine Collette, etc. et filmé sur place. Très belle émission. Ton ancien métier en lien avec la marquise... Couturière ? Bijoutière ? Factrice ?🤔

      Supprimer
    3. Je connais Christian Signol bien sûr. et je lis Sandrine Collette. L'émission était filmée dans le Lot , En Corrèze Kate ?
      Couturière ! Ouh ! Juste si je sais coudre un bouton. :-) Je n'aime pas la couture. Bijoutière ? Non. Factrice non plus. Ah ah ! ;-)

      Supprimer
    4. Bon, je dois réfléchir un peu plus... Banquière ? Médecin ? Vétérinaire ?😅

      Supprimer
    5. Bravo Kate ! Pour l'un des trois tu brûles !!! :-)Et toi je peux te demander ?

      Supprimer
    6. Coucou Yvanne, numéro 1, 2 3 ?

      Supprimer
  2. Merci Kate. En fait cette lettre que j'ai revue et surtout abrégée a fait l'objet d'un concours international de nouvelles de langue française et dusse ma modestie en souffrir j'avais eu le 1er prix. ;-)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Magnifique ! Toutes mes félicitations ! Au fait, Yvanne, as-tu vu l’émission La Grande Librairie de mercredi dernier ?

      Supprimer
    2. Oh ! Quelle faute ! J'aurais dû écrire " ma modestie dût-elle" ...

      Supprimer
  3. Parfait ! Y a même plus besoin de remonter à Marie de Rabutin-Chantal pour découvrir une œuvre épistolaire époustouflante !
    Un petit truc cependant : je crains que les anciens n'aient pas été plus conscients que nous du tort fait par les hommes à la planète : ils pratiquaient les mêmes excès que nous dans la mesure de leurs moyens, mais comme ils étaient beaucoup moins nombreux, ça ne bouleversait pas encore le climat.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Tu as sûrement raison Walrus en général. Mais je ne pense pas que mes ancêtres paysans aient fait un mal quelconque à la planète. Ils n'avaient que leurs bras et le bétail pour travailler et ils respectaient la terre. Parce qu'ils n'avaient qu'elle pour vivre. Nous nous l'exploitons à l'extrême et allons le payer très cher un jour prochain.

      Supprimer
  4. Félicitations ! Le 1er prix est bien mérité !

    Mais je me permets de rendre à Rimbaud ce que Chirac a emprunté à Dominique de Villepin... encore que tous les mots appartiennent à tout le monde (et qu'à part du fond du palais, on ne sait pas d'où ils sortent !) ;-)

    https://fr.wikipedia.org/wiki/Abracadabrantesque#:~:text=%C2%AB%20Abracadabrantesque%20%C2%BB%20est%20un%20adjectif%20d%C3%A9riv%C3%A9,Mario%20Proth%20publi%C3%A9%20en%201865%20.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je suis très heureuse que ce néologisme soit attribué à Rimbaud ! Mais pour Chirac cela prouve qu'il avait bon goût en matière littéraire. Eh Joe tu penses bien que je vais défendre mon pays quand même ! :-)))

      Supprimer
  5. premier prix bien mérité Yvanne, après cette démonstration prestigieuse !

    RépondreSupprimer

Se sont pelotonnés dans le molleton

       Walrus ; Ghislaine ; Marie Sylvie ; TOKYO ;