samedi 19 juillet 2025

Le coq et l'horloge à balancier. (Yvanne)

   


Depuis quelques jours, je suis intriguée par la présence chez ma voisine, d'un coq décati, à la crête mitée, qui se pavane dans la cour au milieu de ses trois poules. Comme personne n'ignore que Carmen vit pratiquement de la générosité des uns et des autres, je me demande qui a eu l'indélicatesse de lui donner un volatile aussi famélique.

Carmen est une vieille réfugiée espagnole qui a toujours mis un point d'honneur à ne pas parler correctement le français et à ne pas remercier quand on lui apporte de quoi se nourrir. Je n'aime pas aller chez elle : elle ne fait guère d'efforts pour être aimable et sa conversation reste volontairement limitée. De plus, on la dit un peu sorcière. Sorcière, je ne sais pas mais un peu folle ça ne fait aucun doute. Ma curiosité l 'emporte : d'où vient ce drôle de coq ? Je me saisis d'une part de tarte - pour une pâtisserie elle daigne ébaucher un sourire édenté – et me dirige vers sa maison.

Un poème le logis de Carmen ! Elle vit carrément avec sa volaille et les crottes jonchent le sol, les chaises et même la table de la cuisine. Et l'odeur...
Derrière moi, entre le nouveau pensionnaire qui me fixe d'un œil torve.

    • Bonjour Carmen ! Il n'a pas l'air commode ton coq ?

    • C'est mon Julio. Je l'ai trouvé dans le fossé. L'avait peur, le pauvre ! Une bête qui n'a pas eu le temps de le manger sans doute. Il est beau, non ? Et il chante bien. Comme le Julio de mon pays, tu sais ! Tu le connaissais hein ? Mon Dieu, il est mort : il était si beau !

Pour ça, il est beau ce Julio là ! Complètement déplumé, le cou nu et décharné. Un vieux beau quoi ! Et là je ne parle pas du coq !

    • Il se plaît chez moi. Il est réglé comme une horloge. Le matin, il me réveille puis il s'occupe de mes petites. Mais juste à midi, il vient ici et...tu vas voir !

Douze coups sonnent justement à la vieille pendule. Julio, qui traînait par là, au fond de la salle sombre se redresse. Il se campe devant la comtoise en noyer, perché sur ses ergots. Les ailes en éventail, ses quelques plumes jaunâtres gonflées, la tête en avant et le cou tendu, il se lance. Le bec pourfendeur, il attaque et charge. Et vlan ! Heureusement, il ne pèse pas lourd sinon, il ferait trembler la caisse de l'horloge. Et son cri : un râle rageur !

La pendule égrène à nouveau ses douze coups. Et ô surprise ! Julio change complètement de procédé. Cette fois, il s'approche, fier, arrogant, bombant son torse maigre. Il arrondit son aile droite sur sa patte étirée, baisse la tête comme pour une révérence et coquerique. Puis il passe dignement devant nous et s'éloigne. Étrange ! Les coqs, que je sache, ne sont pas coutumiers de ce genre de comportement.

    • Mais il est fou ton coq, Carmen !

    • Non, il est pas fou. D'abord, il se bat puis il fait sa cour. C'est comme ça depuis qu'il habite chez moi.

    • C'est une boutade ! Pourquoi tout ce cinéma devant ta pendule ?

    • Ah ! Tu vas comprendre pourquoi !


Carmen me conduit devant la comtoise, frotte un peu le fond de la gaine avec sa manche pour ôter la couche de poussière. Je découvre alors, criblée de coups de bec, une peinture représentant un superbe coq au plumage chatoyant, à la crête et aux barbillons rouge-sang et à la queue en panache. Il surveille, l'air possessif, une petite poule grise et ses poussins, indifférent, tout comme sa compagne affairée, d'abord aux assauts intempestifs puis ensuite aux tentatives de séduction de leur congénère efflanqué mais tout de même en chair et en os, lui !

Je ne peux m'empêcher de trouver le tableau cocasse : un coq avec ses tactiques et une pendule avec ses » tic tac » animent curieusement la cuisine de ma voisine. Qui ne s'en étonne même pas.

 

5 commentaires:

  1. j'aime bien tes tactiques et tes tic tacs et ton histoire si bien racontée, comme d'habitude !

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  2. ce qui me charme d'abord,
    L'humour subtil et fin.

    Le jeu entre regard moqueur et tendresse implicite.

    L’image finale du coq qui se bat contre la peinture est tout simplement formidablement visuelle et inattendue, une petite scène de théâtre absurde à elle seule.Un très beau texte, plein de fantaisie maîtrisée, d’ironie douce et de trouvailles narratives. Yvanne ,tu sait camper une scène en quelques lignes, créer du mystère sans effets forcés, et nous offre un conte discret sur le temps, la mémoire, la rivalité… et le ridicule attendrissant de ceux qui n’abandonnent pas.

    Bravo Yvanne, ton coq restera dans les mémoires !

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  3. Encore un qui ne supporte pas la concurrence ! ;-)

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  4. Encore un joli portrait, bien du Sud !

    On pense forcément à la chanson de Nougaro : "Un coq aimait une pendule" ! Et à cette autre, du même, "Toulouse" : ICI, SI TU COGNES, TU GAGNES ICI, MÊME LES MÉMÉS AIMENT LA CASTAGNE
    ;-)

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  5. Comme Joe, ton texte si bien écrit m’a forcément évoqué la chanson de Nougaro et son ambiance !

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Ont examiné le vitrail en détail

       TOKYO ; Ghislaine ; Marie Sylvie ; Walrus ;