samedi 23 août 2025

Dix-sept kilomètres et cinq-cents mètres en deux version (Joe Krapov)

 

 

On s’était perdus.

Ou plutôt on nous avait perdus. Pas de balise sur le chemin forestier, une bifurcation à droite alors qu’il fallait poursuivre tout droit...

Bref on était perdus.

A force que je dise, en le faisant exprès, une bêtise par phrase, On n’écoute plus jamais ce que je dis, même quand c’est la voix de la Sagesse qui parle à travers ma bouche.

« Bien fait pour ta g… !» me susurre-t-elle à l’instant, la voix intérieure. La Sagesse est malpolie et emploie des verbes dont l’orthographe est compliquée vu qu’ils ne s’écrivent pas comme ils se prononcent.

- C’eût été bien mieux de descendre par la route départementale n° 3. Il faisait beau et chaud, il y avait très peu de circulation et on arrivait tout droit au village de Faux-la-Montagne où nous avions établi notre campement de base.

Mais On ne m’a pas écouté.

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Bien entendu, on aurait pu raconter les choses autrement :

Publié le 22/08/2025 à 12:00
Le Petit écho de la Creuse

Sous un soleil éclatant qui apportait une note encore plus colorée à cette cérémonie de passage en perdition du 1er Régiment d’investigation pédestre (RIP), un parterre de feuillages de toutes couleurs et de différentes essences d’arbres et de nombreux animaux sauvages discrets dont Martine Mouetterieuse, représentant la municipalitailée, Alain Byrinthe, maire de La Queue du Tour, et le commandant de gendarmerie Rubarré s'étaient réunis autour de la petite clairière d’Ouskonédon dans la forêt du Colonel Légaré sur la base de Faux-la-Montagne.

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En plus c’est On qui avait la carte.

Quand on est sortis de la forêt on a trouvé une route. Un petit pont passait par-dessus un gros ruisseau canalisé. On a mis du temps à comprendre qu’on était sur la Départementale 85, entre La Sagne et la bifurcation vers Bessat, là où la carte indique l’altitude de 715 mètres. Alors on a cherché l’entrée du chemin blanc qui permettait de retrouver la D 3 un peu après le point « altitude 758 ».


- Et merde ! qu’a commenté la Sagesse. Va falloir remonter en plein cagnard !

Ce fut effectivement assez interminable. Pendant que je suais ou prenais des photos de la flore ambiante On galopait devant.

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Continuons le récit parallèle. En moi habite la Sagesse mais loge également la Fantaisie surréaliste et collagière !

Le général de brigade Lafeuillade, commandant la 11e brigade perditionniste présidait à ce dernier hommage rendu par les hommes du 1er R.I.P. à leur chef, le colonel Bonnet. Cette journée exceptionnelle était toute empreinte d'émotion et de pas perdus pour tous ces militaires qui, en deux ans, avaient appris à connaître et à estimer cet ancien « scout de France », figure de proue d'un régiment d’ibis railleurs et de moules nébuleuses. Clodoaldien d'origine, il est passé par trois fois à la base de Faux-la-Montagne : 1983, 1990 et 2001 où il avait pris le commandement du 1er R.I.P. avant de rejoindre désormais Redon en tant que chef de bureau logistique au commandement de la force d'évacuation des souks parentéraux. Chevalier de la Légion d'horreur et chevalier dans l'Ordre national du J’hérite, le colonel Bonnet a participé à plusieurs campagnes d’égarement : Vallée de l’Inferno près Charleville-Mézières en 2018, fabrication de pro-thèses pour les chevaliers paysans du lac de Paladru en 2015, plateforme multimodale d’Oignies en 2012, Puy-de-Sancy sous la pluie en 1978 et Sahara algérien en 1975 (opérations dites de la rue de la Soif).

Pour lui succéder, le colonel Blanchon arrive de Coëtquidan où il assumait les fonctions de professeur de groupe au diplôme de fausses cartes d'Etat-Major puis rédacteur au centre d'examen et d'enseignement extérieur des défèque-niouzes. Ce Parisien d'origine, lui aussi chevalier de la Légion d'horreur et chevalier dans l'Ordre national du J’hésite a deux campagnes à son actif : l’Italie où il fut blessé à la bataille de Solféo-Torino en peignant un faux drapeau monégasque sur l’arbre d’un propriétaire irascible qui ne l’entendait pas de cette oreille et l’Egypte d’où il ramena le nez retrouvé du sphinx de Gizeh et un obélisque magique permettant de vérifier que tout concorde dès qu’on a mis les choses en place.




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De fait le soir au camping tout rentra dans l’ordre.

- Quelle importance qu’On se perde si tu es perdu avec elle ? a pondu la Sagesse. Que vous ayez marché dix kilomètres ou dix-sept kilomètres cinq-cents, le monde entier s’en contre-fout. Pendant que vous avez fait ça, au moins, vous avez foutu la paix aux Ukrainiens et aux Gazaouis ! Non ? »

Je n’ai pas répondu : j’étais mort de fatigue.



***

Après la prise d'oreiller et la fermeture des châsses eut lieu la passation aux bras de Morphée avant le défilé des ronflements bien guidé par les musiciens du 1er R.I.P que l'on ne cesse d'applaudir pour la qualité de leur prestation.


N.B. La trame originale de la version 2 se trouve ici :



3 commentaires:

  1. Quelle inspiration débordante ! Et comme c’est bien d’avoir mis le lien sur cet article ! Sinon, la carte d’état-major, truquée ou pas ? Mais ce drapeau de Monaco qui tague beaucoup d’arbres et de murs, pourquoi ?🤣

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  2. Ah ! J’oubliais la mention des chevaliers paysans du lac de Paladru liée à un film génial ! Lac que j’ai eu l’occasion de voir : site très ancien qui nous plonge dans un lointain passé, j’en garde un souvenir magnifique.

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  3. Texte tordant, où la réalité côtoie le loufoque et le jeu de mots !!

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