Lorsque j'ai vu cette photographie, je n'y ai pas vu qu'un monument
historique. Le Menhir m'a parlé d'indifférence, celle gravée dans la
pierre, celle que j'ai connu enfant.
J'ai choisi de répondre à ce défi non par une simple description, mais comme une métaphore intime.
Ce
texte est un morceau de moi, une résonnance entre ce Menhir figé dans
son silence sacré et les adultes pétrifiés dans leur regard, alors que
gamine, je peinais dans un champ de carottes sous leurs yeux sans
secours. Ce Menhir, classé et protégé, m'a rappelé à quel point on sait
préserver les pierres ... mais rarement les enfants blessés.
Je
vous invite à lire ce texte comme un cri feutré, un miroir que j'ai
tendu à cette photographie pour y projeter ce que l' Histoire oublie
parfois de dire : Que l'indifférence, elle n'est pas que dans les
monuments. Elle est dans les silences complices .....
Je suis une enfant que l'on n'a pas vue.
Un
Dimanche, je binais, le dos courbé sur un champ de carottes qui n'en
finissait pas. Le soleil s'étirait sur l'asphalte, les voitures
passaient, des visages défilaient derrière les vitres, tous braqués sur
moi ... mais aucun ne s'est arrêté. Pas même l'estafette bleue marine,
pleine de regard figés. J'avais 10 ans à peine. Et eux, ils avaient des
yeux ... mais pas de cœur.
Je
suis cette silhouette absurde dans un décor de grand, une scène
théâtale d'un scandale muet où l'indifférence joue le rôle principal.
Chaque pas de motte que je retournais semblait dire : Regardez-moi. Mais
ils ne l'ont pas fait. Ils ont préféré le silence, la fuite dans la
normalité comme si la souffrance enfantine ne méritait ni le frisson ni
le cri.
Je suis la voix que le Menhir ne pourra jamais avoir.
Un
monument figé, classé, protégé. Intouchable. Lui, on le couvre de
respect, on le borde de pancartes et de barrières. Moi, on m'a laissée
nue dans l'oubli. Je ne lui en veux pas au Menhir, cette statue regardée
comme noble ou sacré, que je vois, moi, comme un témoin muet, symbole
d'un monde qui regarde sans agir, cette statue de pierre froide comme
l'indifférence des adultes. Non, je ne lui en veux pas au Menhir, ce
n'est pas lui qui a décidé. Je lui en veux à l'espèce humaine, à ceux
qui savent trop bien faire la part des choses....lorsque ces choses sont
de pierre, pas de chair.
Je suis la mémoire vive d'une société trop froide.
Je
suis l'enfant et la femme, celle qui voit encore des enfants subir ...
en silence, dans l'ombre, à l'abri des journaux et des lois. Et
pourtant, je ne suis pas en colère. Je suis le regard qui éclaire, la
parole qui dérange, la tendresse lucide. Je suis ce refus de laisser ce
monde continuer à détourner les yeux.
Encore une enfance gâchée... ça me rappelle le "C'est Mozart qu'on assassine" de Saint-Exupéry
RépondreSupprimerOn ne détourne pas les yeux : on entre dans l'église pour y trouver une lumière qui nous guide mais on n'y trouve que les reflets, très jolis du reste, des vitraux sur le carrelage...
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