samedi 9 août 2025

LE MENHIR ET LES REGARDS ABSENTS (Marie Sylvie)

 



     Lorsque j'ai vu cette photographie, je n'y ai pas vu qu'un monument historique. Le Menhir m'a parlé d'indifférence, celle gravée dans la pierre, celle que j'ai connu enfant. 

J'ai choisi de répondre à ce défi non par une simple description, mais comme une métaphore intime. 

Ce texte est un morceau de moi, une résonnance entre ce Menhir figé dans son silence sacré et les adultes pétrifiés dans leur regard, alors que gamine, je peinais dans un champ de carottes sous leurs yeux sans secours. Ce Menhir, classé et protégé, m'a rappelé à quel point on sait préserver les pierres ... mais rarement les enfants blessés.

Je vous invite à lire ce texte comme un cri feutré, un miroir que j'ai tendu à cette photographie pour y projeter ce que l' Histoire oublie parfois de dire : Que l'indifférence, elle n'est pas que dans les monuments. Elle est dans les silences complices .....



 Je suis une enfant que l'on n'a pas vue. 
Un Dimanche, je binais, le dos courbé sur un champ de carottes qui n'en finissait pas. Le soleil s'étirait sur l'asphalte, les voitures passaient, des visages défilaient derrière les vitres, tous braqués sur moi ... mais aucun ne s'est arrêté. Pas même l'estafette bleue marine, pleine de regard figés. J'avais 10 ans à peine. Et eux, ils avaient des yeux ... mais pas de cœur. 

Je suis cette silhouette absurde dans un décor de grand, une scène théâtale d'un scandale muet où l'indifférence joue le rôle principal. Chaque pas de motte que je retournais semblait dire : Regardez-moi. Mais ils ne l'ont pas fait. Ils ont préféré le silence, la fuite dans la normalité comme si la souffrance enfantine ne méritait ni le frisson ni le cri.

Je suis la voix que le Menhir ne pourra jamais avoir. 
Un monument figé, classé, protégé. Intouchable. Lui, on le couvre de respect, on le borde de pancartes et de barrières. Moi, on m'a laissée nue dans l'oubli. Je ne lui en veux pas au Menhir, cette statue regardée comme noble ou sacré, que je vois, moi, comme un témoin muet, symbole d'un monde qui regarde sans agir, cette statue de pierre froide comme l'indifférence des adultes. Non, je ne lui en veux pas au Menhir, ce n'est pas lui qui a décidé.  Je lui en veux à l'espèce humaine, à ceux qui savent trop bien faire la part des choses....lorsque ces choses sont de pierre, pas de chair.

Je suis la mémoire vive d'une société trop froide. 
Je suis l'enfant et la femme, celle qui voit encore des enfants subir ... en silence, dans l'ombre, à l'abri des journaux et des lois. Et pourtant, je ne suis pas en colère. Je suis le regard qui éclaire, la parole qui dérange, la tendresse lucide. Je suis ce refus de laisser ce monde continuer à détourner les yeux. 



 

2 commentaires:

  1. Encore une enfance gâchée... ça me rappelle le "C'est Mozart qu'on assassine" de Saint-Exupéry

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  2. On ne détourne pas les yeux : on entre dans l'église pour y trouver une lumière qui nous guide mais on n'y trouve que les reflets, très jolis du reste, des vitraux sur le carrelage...

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Ont cueilli des tulipes

      TOKYO ; Walrus ; Ghislaine ; Marie Sylvie ; François ;