Oui, je sais : pour les jambes de bois, ce sont les emplâtres, pas les rustines. Mais avouez que tou·te·s deux sont également inefficaces ! (Oui, l'emplâtre et la rustine forment un couple "traditionnel" : leurs genres sont différents.)
Après cette petite mise au point, venons-en à notre rustine (l'originelle : celle développée par le chimiste Paul Dumenjou pour le compte de l'industriel Louis Rustin).
Je sais tout (ou presque) sur les rustines : comme la plupart des membres de ma génération (laquelle sent le sapin aujourd'hui), j'ai passé une grande partie de ma jeunesse monté sur un vélo, centaure (mais non sans reproches) à roulettes.
À l'époque, dans ma province, les vélos portaient une plaque d'immatriculation renouvelable chaque année où, sur le document d'enregistrement, figurait la dénomination exacte du véhicule : vous étiez l'heureux propriétaire d'un "vélocipède à deux roues". La chose a été abandonnée : la taxe prélevée à cette occasion ne couvrait pas les frais de fabrication des plaques et d'administration.
Mais je m'égare...
À force de rouler partout avec mon premier vélo (un modèle à torpédo que mon paternel était allé acheter au vieux marché de Mons d'où il l'avait ramené un bras passé dans le cadre de l'engin puisque que lui-même se déplaçait en vélo) j'en ai récolté des crevaisons !
Faut dire que la rue et la cour de la centrale thermique où j'habitais étaient en terre battue et que leurs immanquables nids-de-poule étaient comblés par des agglomérats coupants de mâchefer provenant de la combustion du charbon dans la dite centrale.
Comme mon père qui pouvait à peu près tout faire n'était pas du genre conserver pour lui seul les pratiques de base nécessaires à la vie quotidienne, il m'a montré la procédure une bonne fois pour toute.
Vous pourriez penser qu'il n'y a rien de chinois à poser une bête rustine sur une bête chambre à air, mais...
Avant de pouvoir procéder au "collage" il faut accéder à la chambre à air, il faut l'extraire de l'espace où elle est logée entre la jante et le pneu. Pour ce faire il faut utiliser des démonte-pneu (que mon paternel appelait "minutes").
Une fois un des côtés du pneu dégagé de la jante, vous pouvez vous saisir de la chambre à air et l'extraire (à condition de ne pas avoir oublié d'enlever l'écrou qui fixe sa pipette sur la jante).
Il faut également localiser la fuite en gonflant la chambre et en la plongeant dans un bac d'eau pour voir où sortent les bulles révélatrices, bien repérer l'endroit et sécher soigneusement le caoutchouc.
Les rustines sont généralement fournies accompagnées d'une petite râpe à dents minuscules et d'un tube de "dissolution". Il faut alors bien nettoyer le champ opératoire au moyen de la râpe, y étendre une fine couche du liquide et... laisser sécher plusieurs minutes !
C'est là qu'intervient Vulcain !
Le liquide en question n'est pas de la colle c'est une solution dans du pétrole de caoutchouc et de produits soufrés et lorsque vous allez enfin mettre en contact la chambre et la rustine vous allez créer à l'interface une zone où les caoutchoucs vont entremêler leurs chaînes polymériques renforcées par le soufre. Vous venez de réaliser une vulcanisation !
Pourquoi ce nom ? Ben à cause du soufre ! Les volcans sentent le soufre, non ? (Un peu comme moi...)
Vulcain ! Sois sage, coquin ! C’est vrai, la réparation n’était pas facile et même si on me l’avait expliquée, je roulais à bicyclette avec la peur de crever (et de ne pas pouvoir réparer), la peur que la chaîne saute, la peur qu’on m’abîme ou me vole l’engin, la peur des voitures, des motos et des camions... Et puis j’ai pris le bus, le train, le métro, la voiture et beaucoup de marche à pied !🥾👞👟
RépondreSupprimerÀ l'époque où je me déplaçais en vélo, il n'y avait guère de raisons d'avoir peur : les voitures étaient bien plus rares qu'aujourd'hui, et côté réparation, pour les longs déplacements, j'emportais une chambre de rechange au cas où... et comble : on ne volait guère les vélocipèdes à deux roues à l'époque.
SupprimerQuand les choses ont évolué, je me suis mis à la voiture : vaut mieux être l'écraseur que l'écrasé ! :-)
C’est vrai que les dangers nous guettent ! Je me suis d’ailleurs fait renverser, il y a quelques années (la cicatrice de ma jambe n’a disparu qu’il y a peu), par un vélo électrique en ville... Je ne traverse plus au feu rouge à pied, et même quand c’est vert pour ́les piétons, prudence et sur les trottoirs aussi...
RépondreSupprimerEh oui, nous sommes sous la main de fer du "tout tout de suite" et des livraisons express !
Supprimer🖖 moi qui pensais que ça faisait les oreilles
RépondreSupprimer...Pointues
SupprimerPointues ? Pour faire de nouvelles fuites ?
SupprimerMerci de confirmer que le manuel de M. Rustinov est correct. La réparation de pneus crevés est le seul domaine scientifique dans lequel je peux me permettre de ramener ma fraise ! ;-)
RépondreSupprimerC'est toujours avec grand plaisir, cher neveu !
SupprimerMaintenant, il existe des pneus anti-crevaison. Faudra programmer un défi pour que vous nous racontiez son histoire.
RépondreSupprimerOui, je sais, et, grâce à l'évolution des colles, des rustines autocollantes ! ;-)
SupprimerCher Walrus,
RépondreSupprimerJ'ai beaucoup aimé ce voyage dans le temps et cet enseignement de mécanique paternel !
Quel plaisir de se souvenir de ces vélos d'antan qui nous valaient des crevaisons à répétition.
Mais au-delà de l'anecdote, l'explication finale est brillante.
Je ne savais pas que la " dissolution " était une solution de caoutchouc et de soufre, et qu'en appliquant la rustine, on réalisait une véritable vulcanisation !
Ta façon de lier la chimie, le volcan et l'odeur du soufre est tout simplement magnifique.
C'est un hommage touchant aux gestes simples, aux enseignements que l'on garde, et à la science cachée de notre quotidien.
Très bel article !
Bien amicalement, Marie Sylvie
Merci Marie Sylvie ! Mon père était un mec étrange, il était né à Anvers mais a toujours refusé de nous parler flamand "pour que nous ne puissions pas parler à ou de notre mère, une Liégeoise, dans une langue qu'elle ne comprenait pas. À part ça, il savait tout faire : bricoler, cultiver le jardin, élever (et tuer) des lapins, soigner mon doigt blanc en y appliquant une feuille de poireau débarrassée de son épiderme. J'ai écrit sur son caractère sur mon blog il y a longtemps : https://presquentrenous.canalblog.com/archives/2011/01/15/20097277.html
SupprimerCher Walrus
RépondreSupprimerUn grand merci pour ce voyage au pays de la rustine. Il éveille un souvenir, celui d'une promenade avec une amie sur l'île de Ré, un pneu crevé et une mousse solidifiante qui m'a permis de faire les 40 km de retour jusqu'à la Rochelle.
Bien sûr, il y a eu des progrès depuis le temps dont je vous parlais : un temps que les moins de soixante ans ne peuvent pas connaître, n'est-ce pas ! :-)
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