samedi 1 novembre 2025

Meilleures ennemies ? (Clio 101)

 


- Qui d’autre ? Sarkozy ?

Ysal se releva d’un bond et fusilla Essaïra du regard.

— Pourquoi toi ? cracha-t-elle. Pourquoi faut-il que ce soit toi ?

Mi-amusée, mi-vexée, son interlocutrice lui dédia son geste le plus insultant.

— “Merci”, ça marche aussi, tu sais ? Et pour ta gouverne, en tant que déesse de la mort, j’ai quelques liens avec les enfers. Toi, entre ton inquiétude pour ta chère Onia et ta complète inexpérience en téléportation, ton lieu d’atterrissage était couru d’avance. Tu as eu de la chance que Lilith m’ait à la bonne et m’ait avertie qu’une immortelle errait dans les enfers. Avec quelqu’un d’autre, c’était l’incident diplomatique ciel enfer et c’est moins drôle, crois-moi.

La mention d’Onia occulta toute mention de l’enfer dans l’esprit d’Ysal. Elle se rapprocha d’Essaïra et plaqua violemment sa main contre la poitrine de son interlocutrice.

— Fous-lui la paix, c’est compris ? Ne t’approche pas d’elle, et si sa colère enfle trop, laisse-la tranquille ! Elle a suffisamment souffert comme ça !

Toute trace d’amusement disparut du visage de la déesse ; ses yeux se rétrécirent, jusqu’à ne plus former qu’un trait rouge vif.

— Cesse de déblatérer les imbécilités que ton Université d’arts martiaux t’a rentrées dans le crâne. Tu prétends avoir rejeté cet endroit, ce n’est pas pour que tu les ressortes à la moindre contrariété.

Terrifiée par la puissance sombre qui émanait d’Essaïra, Ysal recula de quelques pas. Sous la colère de la déesse, elle devinait une violente angoisse, une douleur profonde mêlée de regrets. Quelque chose lui soufflait que les prochains mots prononcés allaient bouleverser toutes ses convictions.

— Je lui ai rien fait à ta copine. Tu veux savoir la meilleure ? Si elle est en vie, c’est grâce à moi et uniquement à moi.

Ysal était tellement ahurie qu’elle ne put émettre qu’un faible couinement. Impitoyable, Essaïra poursuivit.

— Tu croyais quoi ? Qu’en étant abandonnée, affamée, blessée, battue, en plein hiver, à la merci des bêtes et des brigands, elle avait la moindre chance de survie ? Si je n'avais pas été en mission dans le coin ce soir-là, si je ne l’avais pas soignée et déposée devant la masure de forestiers, penses-tu qu’on en aurait retrouvé ne serait-ce qu’un morceau ? Quant à ce qui s’est passé dans la clairière, je n’y suis pour rien. Ta douce petite Onia avait déjà achevé le travail. Je n’ai eu qu’à lui donner l’impulsion pour qu'elle s’enfuie. Autrement, elle aurait fini dans le même état.

— Mais alors, parvint-elle à murmurer d’une voix étouffée, si ce n’est pas toi, pourquoi Onia a-t-elle massacré ces gens ? C’est la lune de sang ? Et dans la forteresse, c’était bien toi…. Alors…je ne comprends pas.

Essaïra la lâcha aussi soudainement qu’elle l’avait saisie et la fixa. Abasourdie, Ysal la contemplait. C’était la parole de l’une contre les enseignements d’une vie ; pourtant, l’intuition de la jeune femme lui hurlait que la déesse disait la vérité.

— Il faut croire que vos enseignements ne sont pas aussi mauvais que je l’avais cru, répliqua Essaïra dans un rire sans joie. La lune de sang existe, elle réveille les instincts les plus meurtriers, les frustrations les plus secrètes mais je n’ai rien à voir avec ça. Nul n’est de taille face à elle, mis à part l’empereur ou le roi des enfers. Ta chère Onia en est l’une des malheureuses victimes. Je pense cependant qu’elle devrait s’en sortir. Comme tu l’as dit, elle a survécu à bon nombre de malheurs, ce n’est pas un petit astre qui la fera sombrer. Quant à ce maître de mes deux, je ne supportais plus son arrogance ; il était temps que quelqu’un le mette face à ses limites. Et, soit dit en passant, ce n’est pas avec tes petits pouvoirs que ta copine aurait pu le terroriser.

Quand Essaïra se tut enfin, Ysal resta silencieuse de longues minutes. Tout ce discours remettait en cause toutes ses certitudes, les enseignements, qui, pour n’en être pas moins délétères, contenaient tout de même une part de vérité.

Du moins c’est ce qu’elle croyait.  Jusqu’à aujourd’hui.

— Il y a autre chose que je ne comprends pas, murmura-t-elle. Depuis que je te connais, tu n’as pas cessé de proclamer ton indifférence envers les dieux et l’humanité. Pourtant, nous te devons toutes les deux la vie, Onia et moi. Pourquoi nous as-tu aidées ?

Quand elle répondit, le ton d’Essaïra avait retrouvé son air cynique ; pourtant, une lueur dans son regard montrait tout autre chose, comme un éclair de fierté.

— Va savoir, il faut croire que vous me plaisez. Vous avez beau avoir le monde entier contre vous, vous n’hésitez pas à vous dresser contre ce qui heurte vos convictions. Onia a eu beau subir tous les malheurs imaginables, elle se relève, serre les dents et poursuit son chemin, peu importe le nombre de fois où elle tombe. Toi, en à peine une heure, non seulement tu désobéis à notre loi la plus fondamentale, mais tu risques un incident diplomatique avec l’enfer. Tout ça pour aider ta copine à se libérer et lui assurer ne serait-ce qu’une petite lueur d’espoir.  Par rapport aux dieux qui regardent leurs temples et leurs fidèles être détruits les uns après les autres sans remuer un orteil, ça me change, crois-moi. Nous avons beaucoup en commun, plus que tu ne le crois.

Essaïra s’interrompit.

L’espace s’assombrit.

Une sonnerie stridente retentit.

Des ombres se matérialisèrent en ondulant, tournant autour des deux femmes en un avertissement sinistre.

Le front d’Essaïra se plissa. D’une main tremblante, elle porta la main à sa tempe droite. Elle écouta silencieusement, avant de se tourner vers Ysal.

— Le roi est rentré. Il t’appelle à lui. Je ne pourrai pas t’aider cette fois.

Elle la releva et poursuivit d’un ton qui se voulait rassurant.

— Témoigne-lui du respect mais reste fidèle à tes idées. Secoue-lui les puces un bon coup, ça ne lui fera pas de mal. Et si sa punition est vraiment trop forte, reviens me voir. 

  

8 commentaires:

  1. la descente aux enfers va t'elle l'éclairer de son savoir précieux... affaire à suivre

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  2. Restons fidèles à nos idées .., comme toi, Clio 101, qui nous laisse ici à voir tout un monde. Dans un amphithéâtre intersidéral : affrontements divins, dialogues ciselés, colère et immortalité, Ça a du souffle, vraiment. J’ai aimé. ;)

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  3. La mythologie est encore plus complexe que je l'imaginais... ;-)

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  4. La première ligne m’interroge, Clio...🤔

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    1. Ahah c'est une petite blague pour Walrus : quand j'ai posé la question de qui Ysal pourrai rencontré, il a noté Sarkozy, du coup, c'est resté ;-)

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    2. Ah oui, d’accord ! Je comprends mieux !

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  5. L'enfer est pavé de bonnes intentions, tout comme la venelle que tes personnages vont emprunter la semaine prochaine. On les suit avec plaisir, ça nous rappelle l'époque des bédés (à suivre) ! ;-)

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  6. Vive les cochons universitaires !!! Grâce à toi, Nana Fafo qui nous embarque toujours dans les aventures fabuleuses de Ronchonchon !

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Auront-ils profité des coins d'ombre ?

     Nana Fafo ;