Quand elle se retourna, il blêmit.
La déception le mordit de son cruel aiguillon. Les yeux en amande et les taches de rousseur au niveau des pommettes n'appartenaient pas à son amie.
Elle est morte de tes mains, tu l'as oublié ? susurra, perfide, la voix de sa conscience.
- Avez-vous besoin d'aide ? Vous semblez si sombre, si triste.
Les jambes de Nadi le lâchèrent. Il chuta lourdement sur le sol, indifférent aux pommes de pain et aux épines de xanthium qui lui rentraient dans la chair.
- Nul ne peut m’aider. Mes fautes sont trop lourdes.
La jeune femme s’agenouilla et le fixa.
Il frissonna. Ses prunelles sombres semblaient lire jusqu’aux tréfonds de son âme, révéler ses failles, jusqu’à pouvoir ouvrir ses portes les plus secrètes. Une force insondable le poussa à exprimer le plus lourd de ses secrets.
- Sur ordre, j’ai mis à mort….mes deux amies les plus proches.
Nadi se tut, incapable de continuer.
Son interlocutrice ne répondit rien. Elle le regarda, profondément. La voix tremblante, il poursuivit. A sa profonde douleur se mêlait un certain soulagement, comme si c’était l’unique opportunité d’obtenir, un jour peut-être, la rédemption.
- Ysal et Onia. Elles ne supportaient plus le système des universités d’arts martiaux. Elles voulaient une vie en-dehors, vivre et assumer pleinement leurs émotions. D’après mes maîtres, elles mettaient en danger la communauté et l’équilibre du monde. J’aurais pu résister, refuser, les aider à se sauver . Je me suis contenté d’obéir et de laisser mon bras les frapper. Je donnerai tout pour revenir en arrière ; mais la mort ne survient qu’une fois. Maintenant je doute et ne sais plus ce qui est juste.
Pris dans ses paroles, Nadi ne remarqua pas les émotions qui traversèrent le visage de son interlocutrice : colère, tristesse, surprise, soulagement et tant d’autres. Il ne perçu pas non plus le léger tremblement dans sa voix quand elle reprit la parole.
- Si l’aiguillon du remords est vraiment trop douloureux, si vous racheter est votre unique désir, vous n’avez qu'une solution : vous devez quitter cet endroit.
En entendant ces mots, Nadi sentit qu’une lourde pierre était tombée dans sa poitrine.
- Partir ?
- Vous ne pouvez vivre éternellement déchiré entre vos remords et les principes qui ont marqué votre existence. Si vous restez ainsi, écartelé entre deux contradictions, vous sombrerez. Vous devez fuir, vous détacher de toute influence, partir sur les routes, découvrir le monde qui vous entoure jusqu’à forger votre propre opinion.
Nadi se releva.
Les jambes encore flageolantes, il s’appuya à un arbre. En exprimant tout haut le désir qui le taraudait depuis plusieurs semaines, la jeune femme lui donnait l’impulsion à se mettre en route.
Pourtant, un doute subsistait encore.
- Comment saurais-je que je peux vous faire confiance ? Comment saurais-je que vous ne me tendez pas un piège ? Je ne sais pas qui vous êtes et pourtant vous donnez une réponse à une question qui m’obsède ?
Le visage de son interlocutrice se troubla, un bref instant, si bref qu’il ne remarqua rien.
- Qui je suis n’a pas d’importance. Quant à savoir si vous pouvez me faire confiance, vous n’en avez aucun moyen. Je sais juste que les remords qui vous rongent vous empêchent de vivre. Partir est mon conseil, je ne vous oblige à rien. Le choix est vôtre.
La jeune femme se tut.
D’un geste vif, elle se rapprocha et le frappa à un endroit précis, juste au niveau du cou.
Nadi s’effondra au sol, sans un mot.
Quand il se réveilla, il était seul. La terre à ses pieds ne comportait aucune marque, aucun indice qui put lui révéler s'il n'avait pas rêvé.
Il rentra dans l’Université en évitant les gardes ; le couvre-feu était passé depuis longtemps.
Le lendemain, sur le pas de sa porte, il trouva un nom et son poignard en obsidienne.
Le jour même, profitant du repos obligatoire et de ses privilèges d’héritier du domaine, il s’enfuit de l’académie.
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