samedi 19 avril 2025

Comme des moineaux. (Yvanne)

   


Il neigeait souvent à cette période l'année. Les fêtes de Noël approchaient et notre curé nous chargeait, nous les enfants du bourg, d'un travail qui nous plaisait beaucoup. Nous nous sentions investis d'une mission et prenions très à cœur de l'accomplir du mieux possible.

Ce n'était pas encore les vacances. Un jeudi matin de la mi-décembre, jour sans école, nous participions tous, petits et grands à la séance de catéchisme donnée au presbytère par notre vieux prêtre. C'était un brave homme que les garçons embêtaient quelquefois, sans méchanceté cependant. Nous attendions qu'il fasse sa demande comme chaque année. Nous savions à quoi était destiné notre après midi et nous en réjouissions.

« Mes enfants, vous allez dire à vos parents que j'ai besoin de vous aujourd'hui. » Ces paroles étaient accueillies avec enthousiasme. Même pas besoin de demander la permission de quitter la maison : le curé faisait autorité. Juste informer de notre absence justifiée. D'ailleurs tout était convenu d'avance. Nous déjeunions en vitesse et repartions vers la cure où nous prenions de grands paniers et c'était la joyeuse débandade vers les bois avoisinants.

Nous devions préparer la crèche. C'était toujours la même depuis des années, remisée à la sacristie après Noël. Elle était grande, construite en bois et dotée d'un joli toit de chaume. La sœur de Monsieur le curé s'occupait de la nettoyer, étalait de la paille à l'intérieur et disposait les personnages toujours de la même façon. Sur le côté droit était posé l'ange bleu qui remerciait quand il recevait une pièce. Cet ange m'a intriguée toute gamine puis j'ai su très vite qu'il n'était pas besoin de l'enrichir pour qu'il hoche la tête... Je connaissais la façon de m'y prendre pour ce faire. Et les petits copains aussi ! Ce qui nous valait quelques taloches de la part de la « curette » comme nous la nommions entre nous avec impertinence.

Nous, les enfants parcourions la campagne à la recherche de mousse bien verte, de branches de houx aux belles grappes rouges et aux feuilles luisantes, de lianes de lierre que nous détachions des arbres dont c'était l'unique parure. Nous gardions pour la fin nos récompenses. Elles se cachaient dans les haies.
C'était les prunelles bleues que nous disputions aux oiseaux. Il fallait voir les merles mécontents surgir des fossés en sifflant. Pareil pour les moineaux affolés et transis. Quelles envolées ! Nous cueillions les fruits noirâtres avec précaution car les épines de leurs arbustes ne nous épargnaient guère si nous étions trop gourmands. Les petites prunes étaient âpres, même après avoir gelé mais nous les mangions quoi qu'il en soit. Personne ne faisait le difficile de peur d'être moqué.

Nous gardions le meilleur pour la fin. Nous savions où trouver en quantité des gratte cul que je nommerai ici cynorrhodon pour faire plaisir à notre ami Walrus. Saupoudrés d'une fine couche de neige ou de givre ils donnaient à la broussaille un air de fête dans leur robe orangée, perlée de blanc. Nous savions exactement comment les consommer sans avaler les poils. Ils étaient légèrement acides et sucrés. Nous en raffolions.

Il fallait bien finir par rentrer pour porter notre cueillette dans l'église où nous attendaient quelques mamans qui finalisaient les préparatifs de Noël. Mais pas question de quitter les bois sans dénicher de la visaube que nous fumions en toussant et crachant comme des tuberculeux. Terminer un si bel après midi sans quelques bêtises n'aurait pas été digne de notre bande de polissons.




7 commentaires:

  1. Magnifique ! Les gratte (à cul) sont vraiment mis à l’honneur, Yvanne !

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  2. Visaube, inconnue ici, sans doute de la clématite ?

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  3. Cela me confirme dans l'idée que les meilleures inventions divines se trouvent... ailleurs que dans les églises ! ;-)

    C'est vrai : on n'y trouve pas tes souvenirs d'enfance ! ;-)

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  4. Réponses
    1. vraisemblablement de la clématite vigne blanche (ou "des haies"). On voit ici qu'on en fumait des tronçons préalablement séchés :
      https://fr.wikipedia.org/wiki/Clematis_vitalba

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    2. Je ne sais pas si c'est de la clématite à dire vrai. Cela ressemblait et ressemble toujours - même si j'ai arrêté le tabac :-) à une liane grisâtre nervurée que l'on détachait des arbres.

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  5. Polissonne. Des souvenirs précieux. J’ai aimé et senti l’odeur douce âcre de la visaube.

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Ont examiné le vitrail en détail

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