Aussi longtemps qu’elle s’en souvienne, elle avait toujours été seule.
Adossée à un arbre, dissimulée aux regards, Onia laissait les larmes dévaler ses joues.
Seule à pleurer et se souvenir de dame Ysal.
Seule contre tous lorsque qu’aucun de ses camarades ne levait le petit doigt lorsqu’elle regagnait l’académie, enchaînée et réduite au silence.
Seule face à lui qui ne l’avait aidée à fuir que pour la trahir et la ramener dans sa prison.
Et désormais seule par sa propre faute, en refusant la main tendue.
Sans faux semblant ni intention cachée, Elior, celui qui assumait la fonction de médecin lui avait proposé de mettre temporairement fin à sa vie d’errance et de solitude.
“Tu pourrais voyager un peu avec nous.”
Quand elle avait décliné la proposition, il n’avait pas cherché à la retenir.
“Nous sommes en quête d’un éclat bien particulier. Nous demeurerons encore quelques jours ici, le temps de décider vers où orienter nos pas. Si jamais tu changes d’avis, tu sais où nous trouver.”
D’une main tremblante, Onia essuya ses larmes et se retourna vers la grotte un peu plus haut, visible entre les frondaisons. Elle pouvait encore revenir, s’intégrer à cette quête dont elle ne savait rien. Elle pouvait reprendre sa place, aider à préparer le repas du matin et enfin apprendre à connaître ces personnes qui l’avaient recueillie, soignée, nourrie, veillée, sans rien attendre en retour.
Ces personnes avec qui, pour la première fois depuis longtemps, elle s’était sentie un peu moins seule. Un peu moins triste.
Elle se redressa, ajusta son sac et commença à se diriger vers la grotte quand une force caressante la tira en arrière puis une voix languide, venue du plus profond de son esprit, siffla à ses oreilles.
— Onia, ma très douce, ma très tendre, où crois-tu aller ?
— Ce groupe est différent des autres. Il aurait pu m’abandonner, me laisser mourir mais il ne l’a pas fait. Tous m’ont soignée et veillée, ils ne pourraient...
La voix se fit plus insidieuse.
— Ils t’ont sauvée car ils ont eu pitié de toi mais que feras-tu quand ils chercheront à fouiller ton passé ? Que feras-tu quand ils verront la force de ta colère, quand ils sauront le sang qui coule sur tes mains ?
Les jambes d’Onia tremblèrent et elle s’avachit au sol. Pour un temps, elle avait réussi à enterrer son passé. S’ils désiraient la connaître, ils ne manqueraient pas de l’interroger sur ses voyages. Et quand ils sauront, ils la chasseraient sans pitié, comme les autres. Pourtant, elle s’efforça de garder espoir, de se persuader qu’elle pourrait racheter les morts par ses capacités à veiller sur la vie, par ses compétences de guérisseuses. Percevant qu’elle perdait du terrain, la voix se fit coupante, perçante.
— Et ce médecin pour qui ton cœur semble battre, penses-tu qu’il te protégera encore quand il comprendra que tu risques de lui faire concurrence ? Et l’autre, celui qui se disait ton ami, qui te dit qu’il ne te trahira pas une seconde fois ?
Onia s’effondra, anéantie par les larmes et le désespoir. Elle avait beau lutter, chercher des arguments, elle ne pouvait qu’admettre que la voix avait raison. Certes, ce groupe respirait la bienveillance mais il arriverait fatalement que l’un d’eux, par ses paroles ou ses actes, en raison de la fatigue, de la faim ou autre chose, ne l’agace, ne la pousse à bout. Et quand ils verraient de quoi elle est capable, ils l’abandonneraient.
Sentant qu’elle avait gagné la partie, la voix enfonça un clou dans son âme.
— Tu n’as jamais voulu plier, entrer dans le moule, obéir aux ordres, abdiquer face aux forces qui dominent depuis des siècles. La solitude est le prix de ta liberté.
Onia pleura longuement, effondrée parmi les branches et les feuilles mortes. Lorsque ses pleurs se tarirent, le soleil avait atteint son zénith, illuminant la clairière d’une lumière tendre. Tremblant encore de ses sanglots, elle se redressa et s’adossa de nouveau à l’arbre. Ignorant le bourdonnement incessant de la voix qui lui murmurait à quel point sa vie ne serait désormais plus qu’un désert, elle plongea la main dans sa poche pour y trouver de quoi s’essuyer le visage. En même temps que son éternelle pièce de tissu, elle en sortit la chouette en bois sculpté que lui avait remis Elior.
— Accepte ceci. C’est un animal porteur de sagesse, de savoir et de transformation. Il permet de voir au-delà des apparences, aide à la guérison et sert de guide dans les épreuves. Puisse-t-il te soutenir dans ton chemin et t’aider à dissiper la peur qui t’assaille.
En passant son doigt sur les aspérités du bois, Onia se surprit à sourire. Ce simple geste suffit à affaiblir l’influence de la voix. D’un geste décidé, elle se releva et prit un chemin discret sur la droite.
— Que fais-tu ? rugit la voix. Regarde-toi, tu es toujours seule et...
Onia se frappa le front, comme pour lui administrer une gifle mentale.
— Non. Plus maintenant.
Et elle continua à avancer.
Elle ne pouvait rejoindre le groupe. Pas encore.
Ses blessures étaient encore trop récentes. Mais son intuition lui soufflait qu’elle serait amenée à les revoir.
La quête dont avait parlé le médecin avait éveillé en elle le souvenir de rumeurs. On parlait d’un joyau protecteur de leur monde, brisé et dispersé par des forces ennemies. On disait qu’un éclat avait atterri, précisément dans cette île et qu’un groupe se trouvait à sa recherche. Elle se souvenait d’un sanctuaire dans la montagne, protégé des atteintes du monde. On y enseignait, perfectionnait, pratiquait une magie ancestrale, puissante. Les probabilités que l’éclat s’y trouve étaient donc élevées.
Si l’emboîtement était correct, le lieu sacré serait celui de leurs retrouvailles.
Et cette fois, elle ne laisserait pas passer sa chance.
L’ombre d’un rictus passa brièvement sur son visage, avant de se muer en une expression dure, déterminée.
Au même instant, un homme sortit de la grotte et se tint à l’entrée, seul, le regard fixé sur la clairière.
Un murmure suppliant, à peine audible, sortit de sa bouche, pendant que les larmes dévalaient de ses paupières.
— Onia...reviens, je t’en prie.
Quel souffle ! On a hâte d’avoir la suite !
RépondreSupprimerMerci Kate !!
SupprimerL'amorce d'une saga ?
RépondreSupprimerEn tous cas une histoire qui me trotte dans la tête depuis un petit moment
Supprimer’jai trouvé bouleversant le moment où Elior apparaît en contrepoint, à l’entrée de la grotte, presque comme un miroir de la détresse d’Onia. Tu crées une double solitude qui appelle à la rencontre.
RépondreSupprimerMercii beaucoup Tokyo !! C'est justement ce que j'ai voulu faire ressentir : la solitude de deux êtres qui voudraient que l'autre le rejoigne
SupprimerUne belle histoire. J'ai relevé cette phrase : "la solitude est le prix de ta liberté"; une phrase sur laquelle on peut discourir longtemps. Tu précises bien : "TA liberté" et cela fait toute la différence dans ce contexte.
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