Heureusement que je me suis intéressée, un temps, à la généalogie de ma belle-famille ! Même si je ne l'avais jamais rencontrée, je savais que la tante Emmanuelle était la soeur de la mère de mon mari, François Homais, et qu'elle approchait de l'âge canonique de cent ans. Ça ne servait pas à grand chose, mais quand ce matin là, le téléphone a sonné et que le notaire, après s'être présenté, m'a annoncé avec les précautions d'usage que « ce matin, Emmanuelle Bovary est morte », ça ne m'a pas causé un grand choc et je savais « dekikikozé » comme écrivent mes petits enfants.
- Elle a tenu à ce que tous ses neveux et nièces assistassent à ses funérailles qui auront lieu à Marcilly le lundi 1er septembre à 15 h 00 à l'Église. Toute la famille se réunira ensuite à 17 h 30 en mon étude, sise numéro 9, le bourg, pour l'ouverture du testament.
- Très bien, maître, je vais en parler à mon mari, nous y serons peut être.
- Soyez y sûrement ! Ne pourront hériter que les membres de la famille présents lors de la lecture de cette pièce.
- Bon, ben d'accord, nous y serons sûrement.
Mon mari, François Homais, est le troisième d'une lignée de cinq enfants. Il est le seul garçon, situé en position trois, au milieu de quatre filles. Ils exercent tous et toutes une profession médicale. François est pharmacien, son père était médecin, certaines de ses sœurs le sont ou l’étaient aussi.
La tante Emma était infirmière. Elle est restée célibataire toute sa vie et on ne sait par quel biais elle se trouvait dotée, à l'heure de son départ en retraite, d'un joli capital qui ne cessa jamais de fructifier et qu'elle convertissait avec un goût certain, paraît-il, en mobilier de luxe. Nous-mêmes, installés dans une sous-préfecture prospère d'un département dynamique, nous ne manquons de rien, sans doute en vertu du très célèbre ruissellement macronien qui assure une belle prospérité à tous les gens de bien qui ne sont pas rien.
Mon mari n'entretient que peu de rapports avec ses sœurs, neveux et nièces et encore moins avec ses tantes perdues de vue. Voilà pourquoi j'ai été bien étonné de l'entendre me répondre, à l'annonce du décès, « OK ! Lundi, je me fais remplacer à la pharmacie et on va à Marcilly. C'est où ce bled ? ».
J'ai consulté Google et Google Maps. J’ai vu que c'était dans la Manche, donc en Normandie et j'ai rempli un sac de vêtements. Comme le temps là-bas est toujours à la mode « p’têt’ ben qu’oui, p’têt’ ben qu’non » j’ai embarqué nos capes de pluie en supplément de vestes et parures plus légères et pas trop colorées. C'était un enterrement quand même.
- Tu n'appelles pas tes soeurs pour proposer un covoiturage ? ai je demandé naïvement à mon mari.
- Et puis quoi encore? Elles habitent à différents endroits de la périphérie de Rennes et l'aînée - comment se prénomme-t-elle déjà ? Ah oui, Isabelle - a un labo à Trébeurden. Je ne vais pas faire du ramassage scolaire en plus ! Qu'elles se débrouillent entre elles si elles veulent !
Cela va faire quarante-cinq ans que je suis mariée à cet ours ! C’était juste proposé de mon cœur mais, de fait, je n'attends plus de miracle de ce corps... médical.
***
Le lundi matin, nous voilà donc partis revoir la Normandie de Stone et Charden. Le paysage est très vert, preuve qu'il pleut quand même encore par ici malgré ces stupides rumeurs de dérèglement climatique. Enfin, je parle de la partie juste avant Avranches, quand on prend la Départementale 976, après l'A84, qu'on passe à Launey, Ducey-les-Chéris et qu'on arrive... dans ce village minuscule où il n'y a même pas un café ou une auberge !
- Qu’est-ce qu’elle est venue faire à s'enterrer dans ce patelin ? peste déjà François. Où est-ce qu’on va grailler ?
On trouve justement une place sur le petit parking en face du cimetière, on descend. Pas un chat ! On pousse jusqu'à l'église : fermée ! Pas d'avis mortuaire, rien ! On cherche la mairie sans la trouver, il n'y a pas de nom aux rues, elles s'appellent toutes le bourg apparemment. Un panneau rouge indique qu'il faut partir à gauche pour la trouver mais il n'y a que des pavillons d'habitation tout le long de la route.
Au carrefour vers La Boulouze on aperçoit une personne de sexe féminin et dotée d'une brouette. « Une naine de jardin vivante ! », comme dirait mon François dans ses bons jours. Sans le savoir, elle fait office de représentante de l'humanité sur cette planète désertique.
- Madame ! Madame ! intercédé-je, nous cherchons la mairie ou l'étude de maître Corboz et nous voulons nous assurer que nous sommes bien au bon endroit pour la sépulture de Madame Bovary.
Tête ahurie de la Schtroumpfette. Je parle le charabia dans le texte ou quoi ?
***
Bon, OK, j'ai tout faux ! Il n'y a pas de notaire ici, il n'y a pas de Emma(nuelle) Bovary à habiter par ici. Et dans un pays nourri de crème fraîche et de doutes permanents, personne ne peut mourir tout à fait ni concevoir que cela puisse se faire.
François rage comme jamais ! On rentre à F.
***
Cette histoire m'intrigue. Le notaire n'avait pas l'air d'un plaisantin. Et qu'une centenaire décède fait partie des probabilités envisageables en ce bas monde. À la fin du repas improvisé, je monte dans le grenier où sont rangées les archives de la famille Homais. Ce nom de Marcilly me dit vaguement quelque chose.
Dans la boîte des photos d'enfance des sœurs Bovary, Emmanuelle et Madeleine, je trouve celle d'une église qui ressemble à un château fort, des clichés de gamines en robe blanche sur un bateau ou sur le port de La Rochelle, l'image d'un écrivain qui dédicace des livres.
A tout hasard, je retourne la photo de l'église et je lis « Marsilly 1934 ».
Marsilly ! Marsilly avec un « s ». Après vérification cette ville se trouve en Charente-Maritime. Wikipédia m'apprend que Georges Simenon y a vécu entre 1932 et 1934. Est ce que j'en parle à François ? Est-ce qu'il est prêt à se fader 3 h 20 supplémentaires de bagnole à fond la caisse pour arriver à 17 h 30 chez le notaire et entendre le beau ramage de Maître Corboz ? Il est déjà de très sale humeur comme ça. Je choisis de ranger la photo dans la boîte où il ne met jamais le nez et de me taire pour toujours sur cette erreur due à une homonymie. Fin d'une drôle d'histoire.
***
Quelque temps après cependant, j'ai quand même téléphoné, en cachette, à ma belle-sœur Isabelle, celle qui habite à Trébeurden et qu'on n’est allés voir qu’une seule fois chez elle en quarante ans. Elle a fait le déplacement au bon Marsilly, celui avec l'église-château fort. Elle a vu le plumage du notaire, plutôt déplumé de fait tant il était "old school".
On n'a rien perdu : tous les neveux et nièces sont déshérités. La Tatie a fait don de ses biens aux apprentis orphelins d'Auteuil-Neully-Passy ou une association de ce genre-là. François aurait été furieux d'apprendre ça, de voir que pour une fois, ça ne ruisselle pas dans son escarcelle. Moi, je suis rassurée sur la bonne marche du monde : si les célibataires s'occupent des orphelins, c'est qu'il n'est pas si mal fait que ça, finalement !
P.S. Ne trouvant guère de ressemblance du cliché walrussien avec les images de Google-images, je me suis retrouvé ici grâce à Google-recherche-par image :
Cette coquille des "Bidochon" m’a donnée l’idée de ce quiproquo !
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