Cette belle journée de juillet était prometteuse ; je flânais sur l'île
de la Cité dans le sillage des jupes d'été de quelques belles oisives
quand un brouhaha incongru parvint à détourner mon regard aimanté vers
les marches du Palais de Justice.
Des énergumènes en robes noires ornées de slogans entonnaient ce que j'identifiai comme la Marseillaise.
Au quatrième couplet – Tremblez, tyrans et vous perfides – je
m'approchai des braillards et je leur suggérai l'incontournable Oh Happy
Day, un chant que j'affectionne mais qui n'était visiblement pas dans
leurs cordes … vocales.
« On n'est pas un groupe de Gospel » me cria un grand escogriffe au
visage rubicond (en un seul mot) et il ajouta « On est des greffiers »
en montrant du doigt le slogan placardé sur sa poitrine.
« Pardonnez-moi »
dis-je au rubicond « vous êtes peut-être des greffiers mais
vous n'êtes pas en polaire »
Le groupe avait cessé de
chanter – ce qui était une bonne chose en soi – et scandait
« Justice en colère. Révisez nos salaires ».
Je
compris ma bévue d'autant plus qu'une tenue polaire en plein mois de
juillet eut été mal seillante pour ne pas dire provocante.
La
dernière fois que j'avais vu un greffier en colère remontait à
l'époque où j'avais voulu changer la marque de croquettes de Nelson
… mon chat.
Certains
énergumènes mécontents de leur nouvelle grille des salaires s'y
étaient cramponnés, tentant de l'escalader malgré l'intervention
d'une brigade de queufs.
« Vous
réclamez quoi au juste ? » m'enquis-je auprès d'une
greffière échevelée.
« On
veut une audience à la Chancellerie » me répondit-elle.
Je
lui fis remarquer que la chancellerie ne chancellerait pas si
facilement.
Elle
semblait déterminée et me lança tel un défi « Tout n'est
pas perdu »
« Comme
la salle ? » répondis-je, fier de ce bon mot.
« Quel
Lassalle ? Jean Lassalle ? » aboya t-elle en agitant
sa chevelure flamboyante comme l'étendard sanglant de l'hymne qu'ils
venaient de massacrer.
« La
salle des pas perdus » bredouillai-je, déçu que ma vanne soit
tombée à l'eau, bien qu'une vanne soit destinée à tomber à l'eau
un jour ou l'autre.
Elle
fronça les sourcils qu'elle avait permanents et charnellement bien
dessinés, fit un effort pour digérer le jeu de mots avant d'éclater
d'un rire cristallin … j'étais sous le charme.
Je
venais de me réconcilier avec ces « gens-là », des
fonctionnaires à qui je n'avais rien à reprocher mais que j'avais
toujours snobés sans trop savoir pourquoi.
« Tu
te joins à nous ? » quémanda t-elle en se pendant à mon
bras.
Elle
avait la même teinte de cheveux que la fiancée québécoise de son
ministre mais je me gardai bien de lui faire remarquer cette
malencontreuse coïncidence.J'eus
préféré un tête-à-tête mais je l'accompagnai jusqu'à la grille
controversée qu'on entreprit d'escalader.
Elle
grimpait si bien malgré sa longue robe que j'eus comme un
étourdissement.
Je
retrouvai mes esprits tandis que la voiture de police – sirène
bloquée – qui nous convoyait promptement vers le commissariat du
1er traversa le pont Royal, ce même pont qu'emprunta le cortège
funèbre de Voltaire mais pour l'heure je m'en foutais …
royalement.
Si
on m'avait dit qu'un jour une jolie fille rousse et fonctionnaire me
caresserait le cuir chevelu d'une main manucurée, j'aurais crié au
fou !
La
matraque des forces de l'ordre m'avait fait pousser un œuf de pigeon
du plus bel effet.
Serrés
sur un banc on attendait maintenant le bon vouloir d'un certain
commissaire divisionnaire.
Ledit
visionnaire qui possédait un strabisme prononcé et un humour à
deux balles nous colla un rappel à la loi avant de nous foutre sur
le trottoir.
On
entendait au loin péter des grenades et une fumée noire montait sur
l'île dans le ciel d'un bleu éclatant de juillet.
«C'est
quoi ton p'tit nom ? » ai-je demandé à ma rousse
flamboyante.
On
ne s'était même pas présentés.
« Claire »
répondit-elle. Ça lui allait bien.
« Et
toi ? » ajouta t-elle.
J'ai
dit « Juste » sans savoir pourquoi
« Leblanc ? »
a t-elle ajouté avec ce même rire cristallin qui m'avait conquis.
On
était sur la même longueur d'onde.
Elle
a dit « T'en as encore beaucoup des comme ça ? »
« J'en
ai plein ma chambre » osé-je.
Ça
a eu l'air de lui convenir
Rien de plus drôle que tes narrateurs coquins, Vegas.
RépondreSupprimerUn rien m'amuse ...
Supprimerc'est Clair que ton visionnaire savait pourquoi ils vous remettaient sur le trottoir ...
RépondreSupprimer:) :)
SupprimerFaire la courte-échelle à une greffière, t'as de quoi être fier !
RépondreSupprimerIl faut être gonflé pour la faire à quelqu'un du barreau :)
SupprimerOui c’est bien ma greffière chérie, quoique fière, c’est clair !
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