samedi 20 septembre 2025

Dans les ombres du passé (Clio 101)

 


- Etait-ce vrai ?

Onia sentit ses tremblements se calmer. Elle connaissait  le prix à payer pour le mensonge et le silence. Pourtant, quand elle répondit, sa voix était assurée.

— Je l’ignore.

Cette fois-ci, l’homme se tut, de longues secondes.

Elle y vit un signe, une incitation à s’expliquer, une opportunité de comprendre et peut-être de se libérer un peu du poids de ces mois.

La voix brisée, elle raconta sa fuite, son errance, sa volonté farouche de ne plus croiser âme qui vive. Sa résolution anéantie par la faim, la fatigue, le froid. Sa tentative de demander l’hospitalité dans un village. Les rares bonnes âmes qui lui faisaient la charité, un peu de pain, un vêtement chaud, un abri, en échange de quelques menus travaux ou un onguent. La majorité des habitants rigides, obtus, refusant de l’intégrer,  lui déniant le droit de participer à la vie communautaire, de faire bénéficier la population de ses dons de guérisseuses, incapables ou refusant de comprendre, d’écouter sa détresse et les raisons qui l’avaient poussée à mener une vie de vagabonde. Les yeux qui ne croisaient plus son regard, les pas qui se détournent, les insultes, les pierres, les coups de pied. Sa solitude, sa colère, ses larmes. Jusqu’à ce jour terrible où, réfugiée dans une clairière tout proche pour méditer et cultiver son art, elle avait été confrontée à deux villageois, un homme et une femme. La gifle de l’un, son panier de simples renversé, piétiné, sali par l’autre. Sa retraite coupée par deux chasseurs qui passaient par là. Leurs avances pour recevoir un peu plus de nourriture, une vraie cabane, de la chaleur, en échange de sa dignité. Ses bras maintenus dans son dos, son corps caressé, malmené, sali. Sa colère qui avait enflé, se transformant en fureur, échappant à son contrôle.

De nouveau secouée par les sanglots, Onia se courba encore.

— Je ne demandais rien à personne. On me refusait l’aide que je pouvais apporter, je l’avais accepté. Ce soir, je voulais juste un peu de calme, un peu de paix, me concentrer sur mon ouvrage, mes talents et même ceci m’a été ôté.

    - Et donc ?

Agacée par le ton traînant de son interlocuteur, Onia osa relever légèrement la tête.

Une vague de colère, pareille à celle qui l’avait emportée cette sinistre nuit, la traversa.

Avachi sur son trône, les bras derrière la tête en guide d’oreiller, il fixait le plafond avec intensité, comme s’il y découvrait des œuvres du plus grand intérêt, bien plus intéressantes que ses paroles.

Elle se força à se calmer, bien trop consciente de la dangerosité de l’homme. Incapable cependant de réprimer un soupir, elle se courba de nouveau et termina son récit.

— Mes souvenirs sont flous à partir de ce moment. Ma vision s’est obscurcie. Quand j’ai repris conscience, j’étais couverte de sang et mes assaillants gisaient à mes côtés. Après, j’ai fui.

L’écho de la voix d’Onia mourut en prononçant ces dernières paroles. Elle ferma les yeux, comme si elle espérait faire disparaître ce souvenir loin dans sa mémoire.

Le tintement du sceptre contre les montants du trône, puis les cliquètements des bijoux attirèrent son attention, suffisamment pour qu’elle risque un léger coup d’œil vers son interlocuteur.

Il se tenait debout sur la première marche de l’escalier, son regard sur elle tel un aigle sur sa proie. Il la fixa longuement, les mains jointes sous son menton, semblant en proie à une intense réflexion. Il ne lui ordonna pas de s’incliner à nouveau ; il prenait même un malin plaisir à la regarder, comme s’il jouissait du rictus qui était apparu sur ses lèvres.

Incapable de deviner ce qui allait advenir, Onia courba de nouveau la tête, en un geste de protection.

— Où étiez-vous ? Où en était la lune ?

Abasourdie par l’incongruité et la brutalité des questions, elle ne parvint qu’à balbutier. Elle n’en comprenait pas le sens et ne voyait pas le rapport avec cette sinistre nuit. Il lui fallait pourtant répondre ou sinon....

Elle n’eut pas le temps de formuler la moindre parole.

L’homme tapa du pied et se mit à descendre les marches avec la grâce d’un prince.

Onia frémit quand elle entendit l’écho sinistre de ses pas qui se réverbéraient dans la pièce.

 Frissonna quand il la domina de son ombre.

Tressaillit quand sa main reptilienne se glissa sous ses cervicales et lui releva la nuque.

Trembla quand sa main gauche enserra sa gorge, bloquant toute tentative de fuite, tandis que la droite se posait sur son front.

Hurla quand une décharge d’énergie assailli son esprit et la plongea dans le néant.

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