samedi 13 septembre 2025

Le nabab rouge (Clio 101)

   

 

La porte se referma dans un grondement sourd.  

Les jambes encore flageolantes, Onia se releva progressivement, tous ses sens en alerte. Elle jeta un rapide regard autour d'elle, à la recherche du moindre interstice, en vain. 

Une lumière s’alluma dans son dos. 

Elle sursauta, et se tourna d'un bond pour voir d'où provenait cette apparition.  

Le cri qu'elle voulut pousser mourut dans sa gorge. Elle percevait inconsciemment qu'hurler en ces lieux sans y être autorisée lui vaudrait une sanction. 

 En face d'elle, une silhouette dissimulée sous une cape ample tenait une torche et l’observait, impassible.  

  • - Suivez-moi.  

Sans attendre sa réponse, la forme sombre s’éloigna.  

Onia lui emboîta le pas sans réfléchir.  

En avait-elle seulement encore le droit ? 

Pendant toute la traversée du long couloir, elle n’entendit que l’écho de leurs pas. A intervalles réguliers, la lumière vacillante de la flamme réveillait les ombres d’animaux biscornus, chimères aux longues griffes, gueules béantes aux crocs acérés. De longues rigoles de sueur lui coulaient sur le visage et les battements sourds de son cœur semblaient résonner dans ce long couloir. 

Au bout de ce qui lui parut une éternité, la flamme s’éteignit, soufflée d’un simple geste. 

Incapable de s’orienter, Onia se figea sur place. 

Elle tendit les mains pour savoir où se diriger quand une main glacée s’abattit sur son poignet droit et la tira d’un coup sec vers l’avant. Le hurlement qu’elle voulut pousser mourut dans sa gorge quand un œil aussi terrible que la glace la fixa.  

Sans lui prêter plus d’attention, son guide frappa trois coups sur une paroi qui s’entrouvrit à demi, tout juste suffisante pour permettre à une personne de passer.  

D’une poussée, il projeta Onia à l’intérieur, avant de refermer la porte.  

Déséquilibrée par le geste et la terreur que lui inspirait l’endroit, la jeune femme serra les dents, prête à encaisser l’impact. 

Stupéfaite, elle ne se fracassa pas les genoux et les poignets sur une surface dure mais atterrit sur quelque chose de doux et confortable. Encore sous le choc, elle se releva d’un bond et vacilla sur ses jambes, abasourdie par ce brutal changement de décor.  

Elle se trouvait dans une pièce de taille démesurée, si haute qu’elle ne parvenait pas à en voir la fin. Les murs étaient composés de marbre rouge vif, recouverts çà et de lourdes tentures bordeaux. Des torches réparties dans la salle accroissaient la luminosité ambiante jusqu’à la limite du soutenable et obligeaient à garder les yeux baissés. Orné d’un bout à l’autre d’épais tapis en laine d’alpaga de la même couleur que les murs, à l’exception d’un unique rectangle de deux mètres sur six, le sol donnait l’impression de baigner dans une gigantesque mare de sang.  En face de cet espace vide, à l’exact centre de la pièce, encadré par deux statues à taille humaine de lion rugissant en or massif, les griffes et les crocs en rubis et émeraude, se tenait un trône surélevé de douze marches en porphyre, recouvert d’un velours pourpre. Y trônait dans une position semi-couchée, un homme vêtu d’un somptueux habit de soie noire brodée de fil d’or, protégé du froid par un épais manteau d’hermine. A son cou, un lourd collier en argent orné de pierres précieuses et semi-précieuses, ainsi qu’un sceptre droit portant une boule recouverte de rubis qu’il tenait nonchalamment dans la main, lui donnaient l’air d’un nabab.  

Terrifiée par la puissance de la pièce, Onia demeura à genoux près de la porte, incapable du moindre mouvement. 

  • - Approchez ! 

  • La voix, puissante comme un gong, retentit, s’amplifia et rebondit dans tout l’espace. Elle demeura longtemps, tel un écho perpétuel.  

  • Presque malgré elle, Onia avança lentement vers le trône et s’arrêta non loin des statues. 

D’un geste de la main, l’homme lui désigna la surface vide. 

  • - Agenouillez-vous. 

Tremblant de tous ses membres, elle obtempéra, son front touchant la désagréable surface froide. 

  • - Pourquoi cette horde vous pourchassait-elle ? 

Onia se tut de longues secondes. L’interrogatoire la contraignait au souvenir d’enfer qu’elle aurait voulu oublier, rejeter à jamais dans les tréfonds de sa mémoire. 

  • - Répondez ! 

La voix tonna, recouvrant chaque interstice de la salle d’une pression monstrueuse. 

Onia suffoqua. Elle avait l’impression qu’une cloche d’étain recouvrait son corps, la contraignant à s’aplatir jusqu’aux limites de ses capacités, comme si elle devait fusionner avec la pierre. Elle ne pouvait se relever, ni exécuter le moindre signe pour indiquer sa soumission. L’air arrivait de plus en plus difficilement à ses poumons et elle ne pouvait respirer que par saccades. 

La pression sur son dos se relâcha un peu, juste assez pour lui permettre d’articuler un ou deux mots. 

  • - Ils réclamaient justice, répondit-elle dans un souffle.  

  • - Justice pour quoi ? 

Onia serra les dents. Une demi-seconde, elle envisagea de mentir, trouver une parade, un subterfuge, n’importe quoi, tout pour ne pas laisser une parole sortir de sa bouche 

Quelque chose comme une main invisible s’abattit de nouveau sur elle, suffisamment pour lui ôter pendant ce temps, toute capacité à respirer.  

Échappant à son contrôle, les larmes ruisselèrent sur son visage. 

Face à cet homme, sa vie ne tenait qu’à un fil, aussi fin que le cristal le plus délicat. Une poussée supplémentaire et elle se briserait dans les ténèbres de l’oubli.  

Elle ne pouvait plus se dérober 

Le visage rougi par l’effort, elle lutta contre le poids monstrueux et laissa les mots péniblement faire vibrer ses cordes vocales. 

  • - Parce qu’ils m’accusent de meurtre. 

     

     

 

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Défi #889

    Bon, essayons de ne pas trop l'être...   Obtus         Pour rappel : le sujet est le mot, pas l'illustration Enfin, à vous de vo...