samedi 11 octobre 2025

Le feu sous la glace (Clio 101)

  


La main d’Onia se referma sur du vide.

Elle se trouvait dans une étendue bleutée, où elle n’entendait ni l’écho de ses pas, ni le bruit de sa voix. Sans lumière et sans bruit, elle ne trouvait autour d’elle que du vide.

 Découragée, la jeune femme s’effondra sur le sol.

Encore une énigme, encore un transfert vers un lieu dont elle ne maîtrisait rien, sans qu’elle pût y faire grand-chose.

Un bruit strident retentit.

Aussitôt, elle se redressa, le corps figé en posture de combat.

Quand l’écho désagréable se fut dissipé, une silhouette au visage mince et allongé, les cheveux tressés en une multitude de petites nattes, apparut dans le lointain.   

Onia eut l’impression que son coeur s’arrêtait de battre. Dans un cri étranglé, elle se précipita vers la femme, indifférente à la sensation étrange de ne plus toucher terre. Celle-ci, en l’entendant, se tourna à demi ; sa bouche s’illumina d’un sourire doux et triste et elle ouvrit les bras.

Onia s’y réfugia, laissant les larmes ruisseler en torrent sur son visage.

Pareilles au cri de l’enfant qui appelle sa mère, ses lèvres ne pouvaient prononcer qu’un seul nom.

-       -   Ysal !

Maternelle, l’apparition lui caressait les cheveux en lui murmurant des paroles réconfortantes.

A ce contact, les pleurs d’Onia se tarirent peu à peu. A regret, elle se détacha de son vis-à-vis et l’observa attentivement. Ses yeux s’agrandirent quand elle vit, tranchant avec la blancheur immaculée de son vêtement, l’entaille rouge vif qu’elle portait au flanc gauche. Elle balbutia, voulut interroger la jeune femme mais elle ne parvenait qu’à prononcer des paroles saccadées.

— Ysal ! Tu es morte ! Alors où sommes-nous ? Es-tu vivante ? Comment m’as-tu trouvée ? Est-ce moi qui aies perdu la vie ?

Ysal ne lui répondit pas tout de suite. D’un geste doux, elle l’attira de nouveau  contre elle et apposa ses mains contre ses tempes. Peu à peu, la crise de panique reflua et Onia put de nouveau respirer normalement.

Ysal lui prit la main et l’invita à s’asseoir.

-         -  Je suis désolée, ma chérie, c’est un peu déroutant, ça va être difficile de tout t’expliquer. Nous avons peu de temps avant que ton geôlier me découvre. Il va falloir que tu me fasses confiance. Pour commencer, je suis bel et bien morte ; toi, tu es vivante et j’espère pour longtemps.

Ysal ménagea une pause et l’enlaça plus étroitement.

-         - Et pour répondre à ton autre question : nous sommes au cœur de ton esprit.

Onia sentit de nouveau son front se couvrir de sueur. Ce que lui disait Ysal n’avait pas le moindre sens. Incapable de se taire, elle saisit la main de son amie et la secoua violemment.

-         - Dans mon esprit ? Mais comment ? Et pourquoi ?

De nouveau, Ysal lui sourit et lui apposa une main sur le front.

-        -  Je sais que mes paroles sont difficiles à entendre mais je n’ai pas le temps de t’expliquer. Si ton adversaire me repère, tu courras un grave danger. Il faut que tu me fasses confiance. Vraiment.

Désespérée, Onia acquiesça. Elle comprenait peu de choses au discours de son amie mais une petite voix intérieure lui soufflait de la croire. Comme si elle avait perçu son monologue interne, Ysal sourit de nouveau et poursuivit.

-         - Pour faire bref, j’ai perçu ton désespoir et ta volonté de te soumettre à cet homme. J’ai demandé la permission à l’empereur céleste de venir t’avertir : c’est la pire idée que tu pourrais avoir.

Ces mots ravivèrent la détresse d’Onia. De nouveau, sa voix se chargea de sanglots.

-         -  Quelles sont mes autres options ? Cet homme a failli me tuer, deux fois. Il vient de me révéler que je suis un monstre, éternellement soumise à une entité qui m’a fait tuer quatre innocents et que je risque d’en massacrer bien d’autres si je ne suis pas capable de maîtriser mes émotions. Il m’a proposé de m’aider à me contrôler, pourquoi ne pas l’envisager ?

Alarmée, Ysal lui serra de nouveau la main et s’efforça de donner à sa voix une tonalité rassurante et convaincante.

-          Il t’a menti et manipulée. Dame Essaïra est trop occupée pour perdre son temps à maintenir des humains sous son emprise. Elle a joint ses forces aux tiennes parce que tu te faisais agresser et son humeur s’est aggravée car nous étions en lune de sang  Désormais, tu ne dois plus rien craindre d’elle.

-         Un meurtre est un meurtre, peu importe les circonstances, murmura Onia d’une voix sourde. Si je succombe de nouveau à la colère, je crains de tout détruire sur mon  passage. Peut-être que cet homme….

-         Par ton intermédiaire, il espère juste contrôler dame Essaîra pour ses projets de conquête. Quand il verra que c’est impossible, il t’éliminera sans  pitié.

-         Mais alors, comment…

Tremblante, Onia se recroquevilla un peu plus. Pour se défaire de sa culpabilité, pour se rassurer un tant soit peu quant à son avenir, elle était prête à accorder crédit aux paroles de son amie. Pourtant, son problème demeurait insoluble. Comment refuser l’offre de l’homme sans risquer d’être anéantie ? Comment le convaincre de la laisser partir ?

D’un geste ferme, Ysal la releva et la tint par les épaules.

-         Tu disposes encore d’une carte à jouer, la plus importante de toutes. Cet homme a cru te soumettre par ses pouvoirs et en te convainquant de ta dangerosité mais il a oublié une donnée essentielle.

Ysal serra un peu plus les bras d’Onia et la regarda droit dans les yeux.

-         Tu es puissante, ma chérie, bien plus puissante que lui.

La jeune femme hoqueta, incrédule ; d’un geste de la main, son amie lui imposa le silence.

-         Ne m’interrompt pas s’il te plaît, tu sais que c’est vrai. Tu as survécu. Au fouet et à la faim, au froid, à l’errance, la solitude, la misère et la haine. Tu as même rencontré la mort mais la Faucheuse elle-même n’a pas voulu de toi. Et qui plus est, tu n’as plus rien à perdre. Tu as failli détruire la forteresse et il a été contraint d’utiliser la majeure partie de ses pouvoirs pour te maîtriser. Si tu t’abandonnes à la fureur de dame Essaîra, si tu lui laisses les rênes, c’est la mort assurée pour lui et il le sait. Il suffit que tu l’impressionnes un tant soit peu et il t’ouvrira lui-même les portes.

Une lueur ténue, aussi fine qu’une brindille, s’alluma dans les yeux d’Onia. L’espoir demeurait encore fragile mais elle commençait à y croire, à un détail près.

-         Même si tu dis vrai, même s’il me laisse partir, où irais-je ? Si je revis le même enfer,, si je suis de nouveau condamnée à errer sans but, face à l’hostilité de tous, j’exploserai à coup sûr.

En un geste doux, Ysal lui effleura la joue.

-         Il y a un sanctuaire,  plus haut dans la montagne. Il fait partie des derniers lieux où les savoirs ancestraux d’Edona sont préservés. Ses habitants ont la réputation d’être aussi froid que la glace car ils ont appris à maîtriser leurs émotions. Tu y trouveras la paix et le moyen de vivre avec cette force qui sommeille en toi. Et, je l’espère, la possibilité de donner une nouvelle orientation à ta vie.

Elle avait à peine fini sa phrase qu’elle se plia en deux en grimaçant de douleur. Son image se brouilla à plusieurs reprises.

-         Ysal, s’écria Onia en la rattrapant aux épaules. Que t’arrive-t-il ? Ton image pâlit !

Le front trempé de sueur, Ysal se redressa à demi. Elle serra la main d’Onia en un sourire désolé. Un mince flux d’énergie se déversa dans la paume de la jeune femme.

-         Il m’est impossible de rester plus longtemps, le maître m’a pratiquement repérée. Ce que je t’ai transmis n’est qu’une rustine, c’est provisoire mais ça suffira.

Terrorisée à l’idée de la perdre, Onia tentait de juguler les larmes qui lui montaient aux yeux.

-         Ysal…ne pars pas !

-         Je n’ai plus le choix ou tout ceci aura été vain. Prends courage ma chérie, et n’oublie pas : tu es bien plus forte qu’il ne le pense. Flanque lui une bonne frousse et rends toi au sanctuaire. Tu y trouveras de nombreuses réponses.

Dans l’instant qui suivit, Onia se retrouva seule.

Une seconde plus tard, elle se trouvait de nouveau dans la pièce de marbre, affrontant le regard du maître, furieux et déconcerté.

 

4 commentaires:

  1. Palpitant... j'ai hâte de savoir comment et si elle va réussir à canaliser ses émotions.

    RépondreSupprimer
  2. Vraiment magnifique et envoûtant !

    RépondreSupprimer
  3. Saperlipopette, la voilà à nouveau au bord du gouffre...
    Pourvu qu'elle ne saute pas !

    RépondreSupprimer
  4. M'enfin ? Y'a pas divulgâchis de la fin de l'histoire, là ? Maintenant on sait que ça va se terminer dans un sanctuaire ! ;-)

    RépondreSupprimer

Se sont laissé inspirer par l'ambiance militaire

        Walrus ;