samedi 3 août 2024

Mademoiselle Coco. (Yvanne)

 


Gabrielle peste en ce matin de mai. Elle doit faire attention à sa jupe qui l'entrave et l'empêche de grimper prestement au-dessus de l'abbaye. Elle regrette le temps où son père lui permettait d'enfiler un pantalon de son frère Alphonse pour l'aider à pousser sa charrette de camelot de marchés en marchés. A cette évocation, Gabrielle sent sa colère monter. Pourquoi son père les a-t-elles abandonnées, ses sœurs et elle ? Elle pense qu'il s'est débarrassé d'elles. Oui, c'est cela : il les a laissées à l'orphelinat d'Obazine, en Corrèze après la mort de leur mère sans se préoccuper de leur devenir. Comme si ce n'était pas assez de chagrin d'avoir perdu leur maman. Il aurait pu se débrouiller autrement songe la jeune fille avec rancœur. Mais il a préféré sa liberté. Qu'il aille au diable !

Gabrielle a 15 ans en cette fin de siècle. Mince fille brune, au corps androgyne, elle longe le canal des Moines qu'elle connaît parfaitement. Elle aime sa fraîcheur, le bruit léger de l'eau qui court. Elle se sent bien ici, seule dans cette Nature sauvage. Elle imagine les moines cisterciens qui ont creusé cet aqueduc pour alimenter l'abbaye et ses dépendances au 12ème siècle. Elle admire chaque fois leur courage, leur volonté, leur force. Ils ont taillé dans la roche, à flanc de montagne – parfois de façon périlleuse - cet ouvrage extraordinaire sur une longueur d'un kilomètre 700 . Il s'agissait d' amener les eaux du Coiroux en amont jusqu'au village sous l'égide du premier abbé Etienne, devenu saint Etienne.

 

Gabrielle doit se dépêcher. Sœur Cécile l'a chargée d'aller dans les bois cueillir du muguet pour fleurir l'abbatiale d'Obazine et le tombeau du saint qui y repose. Elle aime bien Sœur Cécile. La religieuse comprend la jeune fille farouche et volontaire qui a une passion pour la solitude. Quand elle le peut, elle la charge de tâches lui permettant de s'éloigner un peu de l'orphelinat et Gabrielle lui en sait gré. Une autre raison préside à leur bonne entente. Sœur Cécile enseigne la couture et Gabrielle sait au fond d'elle qu'elle sera couturière plus tard, comme sa mère. Mais elle sera riche se jure-t-elle pour prendre sa revanche sur la misère qui l'a conduite en ces lieux austères.

Tout en ramassant les fragiles clochettes fleurissant abondamment sur le puy de Pauliac, Gabrielle rêve. Un jour, elle coudra des vêtements confortables pour les femmes. Et pourquoi pas des pantalons se dit-elle ? Pas très féminins mais tellement pratiques. Elle regarde sa tenue d'orpheline : jupe noire et chemisier à col blanc. Contrairement à ses compagnes préférant les teintes plus gaies, elle trouve ces couleurs sobres très élégantes. Et puis, et puis, elle aura sa marque, sa propre marque. Elle sort de sa poche un mouchoir blanc sur lequel elle a dessiné puis brodé les motifs des vitraux du 12ème siècle de l'abbatiale. Durant les longues messes, l'adolescente laisse son esprit s'évader. Son regard embrasse les ornements vitrés, aux « c » entrelacés et elle y voit son avenir. Leur géométrie simple lui plaît. Ce sera sa griffe, son emblème.


 

La jeune fille dévale le sentier de chèvre pour rejoindre l'orphelinat. Le long du ruisseau elle a ramassé une brassée d'iris jaunes et elle a complété sa cueillette par des roses de mai au jardin du monastère. Son panier embaume. Lui vient alors l'idée d'un parfum qui accompagnera ses futures toilettes. Il sera célèbre et célébré. Elle le veut. Elle a une foi indéfectible en elle. Et comme jamais personne ne lui souhaite son anniversaire, le 5 mai, aujourd'hui justement, elle décide sur le champ qu'il se nommera numéro 5. Un beau cadeau qu'elle se fera à elle-même tous les jours puisqu'elle le portera. 

Le destin de Mademoiselle Chanel est en marche.

10 commentaires:

  1. C'est bien de nous narrer la naissance du pyjama de Marilyn... ;-)
    https://www.dailymotion.com/video/x17rcry

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  2. Beau portrait d'une fille déterminée où la lettre C et le chiffre 5 la représentent partout dans le monde ! Magnifiques photos, j'aime beaucoup les vitraux géométriques .N'est-ce pas plutôt Aubazine ?

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    1. Merci Kate. Oui, aujourd'hui on dit et écrit "Aubazine" mais je préfère Obazine. C'est l'orthographe initiale.

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    2. Ah, oui ! Je ne connaissais pas l'orthographe initiale ! Bravo pour ta mise en mots et en images !

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  3. Comme j'ai adoré cette balade aux côté de Coco ! Tu y étais aussi n'est-ce pas ?
    Je ne savais plus qu'elle venait de ce coin de France.

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    1. Merci chère amie de plume ! Coco Chanel a toujours été très floue sur son enfance et certains émettent des doutes sur son passage à l'orphelinat d'Obazine. Mais les habitants de cette commune racontent avoir parfois vu une Rolls aller au Monastère et la maison Chanel a financé d'importants travaux de réfection ici. On ne saura jamais mais tu as raison j'adore cette histoire et j'étais avec elle en écrivant. Les promenades le long de l'aqueduc sont merveilleuses et nous y allons souvent.

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  4. Kate ce sont des photos du net. J'en ai qui sont personnelles mais elles ne sont pas aussi belles et il y a des personnes dessus. ;-)

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  5. Il a été longtemps question d'un pont pour traverser le Channel mais j'aime bien aussi cette idée d'un aqueduc pour nous faire traverser la vie de Chanel !

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Ont tiré des bordées

        Walrus ; Kate ;