Il y avait de tout dans l'épicerie de Léonie. Vraiment de tout. De la muselière pour les veaux au coton à repriser. Un personnage la Léonie. Toujours vêtue de son éternelle blouse grise. Une maîtresse femme qui ne s'en laissait pas conter et répondait du tac au tac et vertement aux hommes qui fréquentaient sa boutique et la chahutaient un peu pour le fun.
Été comme hiver la porte de la maison était ouverte. On pénétrait directement dans une grande pièce aux multiples usages. En face de l'entrée se trouvait la cabine téléphonique et contre elle un cagibi faisant office de bureau de poste. Dans un des panneaux de bois surmonté de vitres, s'ouvrait un guichet. Au fond, sur la droite on apercevait la cuisine avec son attirail suspendu aux murs, la table, les chaises et le fourneau sur lequel trottinaient la soupe et le frichti du jour. A gauche il y avait l'épicerie.
Léonie cumulait donc les fonctions d'épicière et de postière. Elle était l'épouse de Martial, l'autre facteur de la commune, collègue de Menaud dont j'ai déjà parlé ici. Dans l'exercice de sa fonction administrative Léonie avait le coup de tampon vigoureux et des manières singulières. Tout le monde la soupçonnait d'ouvrir le courrier. Aussi chacun s'appliquait à barder de scotch les envois qu'on lui confiait. Elle ne se privait pas non plus d'écouter les conversations téléphoniques passées par la cabine, cette dernière n'étant pas fermée. Oui, Léonie connaissait la vie de chacun mieux que le curé et son confessionnal. D'ailleurs les gendarmes du canton ne s'y trompaient pas : ils faisaient régulièrement des haltes intéressées chez elle.
Personne n'avait vraiment le choix. On devait passer par Léonie. Même si on se méfiait d'elle comme de la peste. Et elle en profitait. Elle connaissait sa clientèle. D'un simple coup d'œil à l'entrée d'un quidam, elle savait à qui elle avait à faire et à quelle facette de ses deux métiers elle devait se livrer. Un paquet, une lettre, un mandat dans les mains c'était pour la Poste. Un cabas, un panier, une musette c'était pour l'épicerie. Souvent les gens cumulaient à l'occasion d'événements comme les enterrements par exemple. Ces jours là il y avait la queue chez Léonie.
J'étais souvent chargée des petites courses et j'y prenais plaisir. Pas parce que j'attendais une friandise ! Il ne fallait pas y compter. Bien trop radin la Pésefin ! Non. Simplement j'aimais les odeurs qui émanaient de la boutique. Surtout celles des oranges et des bananes qui évoquaient pou moi des pays lointains. J'aimais regarder l'accumulation des denrées sur les étagères, dans des caissettes et même des tonneaux. Je me souviens particulièrement des couches de harengs fumés et salés qui remplissaient une barrique contre laquelle régulièrement je me cognais.
Sur le comptoir, à côté de la balance à aiguille étaient alignés en bon ordre quantité de bocaux hermétiques contenant les sucreries que je dévorais des yeux. Il y avait là des berlingots de toutes les couleurs, des roudoudous que l'on léchait jusqu'à la coquille, des sucettes Pierrot Gourmand, des malabars roses. S'il me restait trois sous après les commissions j'étais parfois autorisée à m'offrir une douceur. Je choisissais un carambar pour ce qu'il y avait écrit sur son papier d'emballage : énigmes ou blagues.
J'aimais aussi observer
la Léonie quand elle pesait sa marchandise. Toujours la même
gestuelle. Elle ajustait ses lunettes, s'essuyait les mains sur sa
blouse, posait le produit entouré de papier journal sur la balance,
disposait méticuleusement les poids en laiton. Enfin, elle se
penchait à l'avant pour lire et annoncer la « sentence »
Elle encaissait les espèces avec une satisfaction non dissimulée.
Jamais de ristourne.
Jamais un compte rond. Elle méritait bien le surnom de « Pèsefin »
Ce sobriquet était tellement entré dans les mœurs que parfois
certains clients commettaient l'impair de la saluer en la nommant
ainsi. Mais Léonie s'en moquait éperdument. Seulement vous pouviez
être sûr que le gaffeur se ferait rouler dans la farine. Et
honteux, ne piperait mot.
J'ai encore connu ces épiceries de village qui avaient tout du "General Store"
RépondreSupprimerAh ce récit me rappelle un souvenir d'il y a quelques 40 années........Merci !
RépondreSupprimerEncore mieux que "L'épicière est une sorcière" de Charles Trénet !
RépondreSupprimerhttps://www.youtube.com/watch?v=Juocz48b3M8
Mon épicerie d’enfance était en ville et pourtant j’y retrouve une ambiance commune avec la balance, surtout, même si Léonie est beaucoup plus haute en couleurs et investie de charges supplémentaires avec la poste !
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