Elle se tenait droite et fière, dans un coin de la pièce
telle une présence silencieuse mais souveraine. Pas un souffle, pas un
geste ne semblait se faire sans qu'elle ne l'ait ordonné. Même mon oncle
Jacky, avec son sourire et ses gestes lents, connaissait ses exigences
: Il attendait le signal pour sortir les chèvres, les nourrir, les
rentrer dans l'étable. Mamie Marcelle, elle, surveillait ses moindres
caprices pour que le chaudron soit alimenté, que la lessive mijote comme
il faut, que les desserts dores sans brûler.
À
chaque instant, elle imposait son rythme, jamais tyrannique, toujours
juste. On l'a respectait, la Patronne, sans jamais oser la contredire.
Même lorsque j'étais en vacances, son absence se faisait ressentir
comme un silence trop profond.
Un soir, j'ai crus
bien faire, croyant lui donner sa voix ... mais elle chanta toute la
nuit, et la maison en fut troublée. Il fallut alors confier ses
fonctions à une plus petite servante, bien moins noble, mais plus
discrète.
Au fil du
temps, elle devint bien plus qu'une maîtresse du quotidien : Elle était
le témoin de notre histoire, le métronome des jours heureux.
Lorsque
l'on m'offrit la possibilité de choisir un souvenir de mamie Marcelle,
ce fut elle sans hésitation. Elle appartenait à notre mémoire commune.
Mais
un jour, elle fut arrachée à moi. Volée. Disparue. Et pour la première
fois, je pleurai non pas un objet mais une présence, un cœur régulier
et fidèle.
C'est ainsi que j'ai perdu La Patronne, notre grande horloge comtoise.
Certaines présences ne s'éteignent jamais, elles battent encore dans le silence.
Elle n'avait pas de cœur mais son tic-tac contenait le mien.
Le temps n'a jamais eu de visage sauf celui qu'elle portait fièrement.
Certains objets ont une âme.
Tu me rappelles le tic tac de la nôtre lorsque j'étais enfant
RépondreSupprimerEt j'adore ce nom "la patronne" ! C'est magnifiquement trouvé
RépondreSupprimerBien vu, les horloges d'aujourd'hui n'ont plus de cœur, elles !
RépondreSupprimerUn petit chef-d’œuvre de délicatesse et de symbolisme, qui transforme une horloge en matrice de mémoire et d’émotion. C’est un très grand texte dans un tout petit espace. Bravo pour cette offrande sensible, humble et puissante à la fois.Une horloge élevée au rang de personnage sacré
RépondreSupprimerDès les premières lignes, on comprend que cette horloge comtoise — la Patronne — n’est pas un simple objet. Elle est présence, autorité, souffle régulier du quotidien familial. Le texte excelle à nous faire ressentir cela sans jamais nommer l’horloge au départ, comme si on voulait lui laisser le temps de faire son entrée, majestueuse.
"Certains objets ont une âme. "
RépondreSupprimerEt il est bien connu que les cambrioleurs, eux, n'en ont pas. Ce ne sont que des tas de muscles - il faut bien ça, du reste, pour soulever une comtoise ! -.