samedi 19 juillet 2025

LA PATRONNE (Marie Sylvie)

   

Elle se tenait droite et fière, dans un coin de la pièce telle une présence silencieuse mais souveraine. Pas un souffle, pas un geste ne semblait se faire sans qu'elle ne l'ait ordonné. Même mon oncle Jacky, avec son sourire et ses gestes lents, connaissait ses exigences : Il attendait le signal pour sortir les chèvres,  les nourrir, les rentrer dans l'étable. Mamie Marcelle, elle, surveillait ses moindres caprices pour que le chaudron soit alimenté, que la lessive mijote comme il faut, que les desserts dores sans brûler. 

À chaque instant,  elle imposait son rythme,  jamais tyrannique, toujours juste. On l'a respectait, la Patronne,  sans jamais oser la contredire. Même lorsque j'étais en vacances, son absence se faisait ressentir comme un silence trop profond. 
Un soir, j'ai crus bien faire, croyant lui donner sa voix  ... mais elle chanta toute la nuit, et la maison en fut troublée. Il fallut alors confier ses fonctions à une plus petite servante, bien moins noble, mais plus discrète. 

Au fil du temps, elle devint bien plus qu'une maîtresse du quotidien : Elle était le témoin de notre histoire, le métronome des jours heureux. 
Lorsque l'on m'offrit la possibilité de choisir un souvenir de mamie Marcelle, ce fut elle sans hésitation. Elle appartenait à notre mémoire commune. 

Mais un jour,  elle fut arrachée à moi. Volée. Disparue. Et pour la première fois, je pleurai non pas un objet mais une présence, un cœur régulier et fidèle. 

C'est ainsi que j'ai perdu La Patronne, notre grande horloge comtoise.


Certaines présences ne s'éteignent jamais, elles battent encore dans le silence. 
Elle n'avait pas de cœur mais son tic-tac contenait le mien.
Le temps n'a jamais eu de visage sauf celui qu'elle portait fièrement.
Certains objets ont une âme. 


 

5 commentaires:

  1. Tu me rappelles le tic tac de la nôtre lorsque j'étais enfant

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  2. Et j'adore ce nom "la patronne" ! C'est magnifiquement trouvé

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  3. Bien vu, les horloges d'aujourd'hui n'ont plus de cœur, elles !

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  4. Un petit chef-d’œuvre de délicatesse et de symbolisme, qui transforme une horloge en matrice de mémoire et d’émotion. C’est un très grand texte dans un tout petit espace. Bravo pour cette offrande sensible, humble et puissante à la fois.Une horloge élevée au rang de personnage sacré

    Dès les premières lignes, on comprend que cette horloge comtoise — la Patronne — n’est pas un simple objet. Elle est présence, autorité, souffle régulier du quotidien familial. Le texte excelle à nous faire ressentir cela sans jamais nommer l’horloge au départ, comme si on voulait lui laisser le temps de faire son entrée, majestueuse.

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  5. "Certains objets ont une âme. "

    Et il est bien connu que les cambrioleurs, eux, n'en ont pas. Ce ne sont que des tas de muscles - il faut bien ça, du reste, pour soulever une comtoise ! -.

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Ont examiné le vitrail en détail

       TOKYO ;