— Lui offrir un bouquet d’aspérules ? Bon sang, je vais être ridicule !
Le regard sombre, Pierrot faisait les cent pas devant l’immeuble où Héléna donnait son cours. Toutes les secondes, il consultait sa montre et il resserrait les doigts sur le bouquet qu’il tenait en main. Toutes les secondes, il était tenté de s’en aller. Pourtant, une force impérieuse le ramenait au 18 rue du Pas de Minage.
Ou plutôt la voix surexcitée de Sophie, la plus proche amie d’Héléna, qui l’avait bombardé de conseils.
— Elle adore le romantisme, un paquet d’année que personne n’a été vraiment délicat avec elle. Et les aspérules, ce sont ses fleurs préférées, y en a tout le temps dans son appart : en bouquet of course, séchées et même en tisane. Elle a un cours de 15h15 à 16h12. 16h12, car son élève est un paresseux, il tente toujours de gratter des minutes en moins. Donc, tu te pointes à 16h, quand elle sort tu lui donnes le bouquet et en même temps, tu l’invites à prendre un café chez Mary Lili. C’est super chou comme bar, très cosy, intimiste mais pas trop, avec des coussins, des canapés et de supers gâteaux. Elle adore les gâteaux, c’est une super gourmande. Après, vous papotez de tout et de rien et le tour est joué.
Avec Sophie, tout semblait plus simple.
Sauf que rien ne l’était. Grand admirateur d’Héléna pour son talent et son charisme, il lui déclamait des discours enflammés.
Seul, chez lui, face aux posters de tous ses concerts, en écoutant un de ses disques.
Quand il croisait son regard, son visage virait à l’écarlate, il baissait aussitôt les yeux et ne parvenait qu’à lui balbutier les mots de première politesse. Quand un morceau se terminait, elle le remerciait d’un sourire et lui, ses mains se mettaient à trembler et il manquait de trébucher en descendant de la scène.
Ce n’était pas comme son frère Tonio, le beau parleur. Lui, il saurait quoi lui dire, la faire rire. D’un geste, il la complimenterait avant de lui proposer un lieu branché. Il pouvait presque entendre sa voix s’il le voyait ainsi.
— Mon pauvre Pierrot, tu n’auras jamais aucune chance avec Héléna. Une fille aussi classe, il lui faut un homme, un vrai, qui la caresse de ses mots et lui propose le paradis ; pas un bafouilleur.
A entendre cela, même si c’était uniquement dans sa tête, Pierrot faillit renoncer. D’autant que Tonio avait été clair. S’il osait ne serait-ce que jeter un regard sur Héléna... il en paierait le prix.
Avec un soupir, il tourna les talons.
Machinalement, il jeta un regard sur sa montre.
16h12.
Sa résolution s’affermit et en son cœur se répandit une délicate mélodie. Il était venu jusqu’ici, ce n’était pas pour abandonner maintenant. Si elle le refusait, il garderait sa peine dans le creux de son âme pour en chérir le souvenir mais au moins il aurait essayé.
Pierrot se retourna.
Au même moment, Héléna apparut sur le seuil. Ses petits yeux et le front qu’elle essuya d’une main machinale le peina et le ravit en même temps. Il craignait que son état ne soit un prétexte pour refuser sa proposition ; dans le même temps, il souhaitait lui montrer qu’il pouvait être là pour elle, en toutes circonstances.
— Salut Pierrot ! C’est chouette de te voir ! Tu habites dans le coin ?
Emotions et pensées se bousculèrent instantanément dans son esprit. Héléna ne semblait pas dégoûtée ou moqueuse ; mieux elle paraissait contente de le voir. Elle venait de lui adresser la parole, de lui poser une question, naturellement, sans vouloir fuir au loin. Ce moment de grâce ne durerait pas, il devait absolument en profiter.
Incapable de lui répondre, il lui tendit son bouquet, sans un mot. Il tenta ensuite de lui proposer un verre mais, pris dans les affres de sa timidité, sa demande se transforma en un tout inintelligible.
— Un café Mary Lili, toi moi...te dirait ?
Héléna ne s’enfuit pas, n’éclata pas de rire, ni ne se moqua.
Voilà bien plusieurs années que personne ne lui avait offert de fleurs, comme ça, pour le plaisir.
Une légèreté comme elle n’en avait pas ressenti depuis longtemps vint se glisser douillettement en elle. Pour la première fois depuis une éternité, elle sentit que le sceau qu’elle avait peu à peu mis sur ses émotions se craquelait doucement. D’une main légère, elle recueillit la délicate attention de Pierrot, la huma et fit un pas vers lui.
— J’entends parler du Mary Lili depuis que je suis arrivée à La Rochelle mais je n’ai jamais pris le temps d’y aller. Ce soir, j’ai envie de le tester, tu m’accompagnes ?
Pierrot ne répondit pas tout de suite. Il contempla Héléna, savoura l’instant. Contrairement à ce que son frère et son syndrome de l’imposteur avaient tenté de lui faire croire, il n’avait rien d’un bafouilleur. Enfin si, mais la plus belle femme du monde n’en prenait pas ombrage. Le cœur encore battant, il acquiesça et, comme un pied de nez aux oiseaux de mauvais augure, il osa lui offrir son bras, qu’elle accepta avec un nouveau sourire, plus éclatant que le précédent.
D’aucun voudrait savoir de quoi ils devisèrent et comment la soirée s’acheva.
Mais ceci, mes chers amis, est une autre histoire, qui ne m’appartient pas.
Sont les filles de La Rochelle
RépondreSupprimerOnt armé un bâtiment
Mais le gars Pierrot a su comment l'aborder !
Joli traitement de la timidité, par ici !
Tu ne serais pas la reine du cliffhanging par hasard ?
RépondreSupprimerComment la soirée s'acheva ? Par un bain peut-être :)
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