Malgré le risque de combustion imminente, l’homme observait, fasciné, la torche humaine qui se trouvait face à lui. Il regardait surtout, avec une intensité gourmande, la silhouette qui se dessinait autour de la jeune femme : une figure féminine portant la lune pour couronne, une balance dans la main droite, une épée ensanglantée dans la gauche.
Il se devait cependant de se montrer prudent : un seul faux pas et lui, sa forteresse et ses hommes seraient réduits en cendres. S’il voulait atteindre son objectif, il lui fallait d’abord apaiser un tant soit peu l’incendie. Il s’approcha à distance raisonnable d’Onia et tenta de faire prendre à sa voix un accent humble.
— Vous êtes…fascinante, ma chère et il semblerait que je ne vous ai pas traitée avec la déférence qui vous est due. Vous m’en voyez navré.
L’esprit noyé dans la brume, perdue dans les affres de sa rage, Onia l’entendit à peine. Si les excuses de l’homme la touchaient quelque peu, le souvenir des moments où il l’avait humiliée, rabaissée au rang de moins-que-rien, la maintenait dans un état de fureur, accentué par la nette conscience de la fausseté de ses paroles.
Le cœur de l’homme se mit à battre un peu plus vite et de fines rigoles de sueur se multiplièrent sur son visage. Il voyait le halo de lumière qui entourait la jeune femme crépiter, grésiller, passer de l’orange doux d’une flamme à une blancheur glacée et les éclairs jaillir de ses mains pour venir tacher de cendres ses beaux murs de marbre. Sa tentative de flatterie avait échoué, pire, son humeur était désormais instable et elle pouvait perdre le contrôle à tout moment.
Une autre idée, vite !
—Vous avez bien tort de vous énerver ma très chère, car de présent je suis votre plus sûr allié, susurra-t-il. Vos véritables ennemis, ceux qui vous ont emprisonnée et maltraitée toutes ces années, sont aussi les miens. Ma forteresse fait partie des rares refuges des croyances et traditions antiques encore épargnée par la rage de destruction des académies. Vous avez tenté de lutter, été réduite à néant, affronté jusqu’aux portes de la mort car vous ne supportiez plus ce système.
La voix de l’homme, douce et monotone, enveloppée d’une délicate mélodie, pareille au sifflement d’un serpent et sa façon de comprendre ses malheurs, calma peu à peu la crise d’Onia. La musique paisible des mots qui sortaient de sa bouche venaient comme s’enrouler autour du halo de lumière, l’enserrant tels des anneaux. Sa respiration et son cœur retrouvèrent un rythme relativement normal, permettant aux paroles de retrouver un chemin vers son esprit.
Voyant qu’il la tenait, son ton de voix devint caverneux, immobilisant la jeune femme aussi sûrement que de lourdes chaînes.
—La rage qui vous anime et la puissance qui m’a repoussé porte la marque de dame Essaîra, la déesse au double visage, sanguinaire et salutaire. Quand vous pénétrez dans son domaine, notamment en lune de sang, elle vient se fondre en vous, exacerbant vos instincts les plus bas, vos colères, vos frustrations, vos blessures d’abandon, jusqu’aux plus insignifiantes. Et elle ne se contente pas d’une nuit, elle reste attachée à vous et attire sa vengeance sur ceux qui provoquent votre courroux. Ceux qui ont troublé votre paix cette nuit en ont été les premières victimes.
Onia étouffa un gémissement.
Sa crainte venait de se confirmer. Elle avait tué de sang-froid des êtres innocents.
Quand il reprit, la voix de l’homme se fit caressante, rassurante.
— Vous ne devriez pas prêter plus d’attention que nécessaire à ce regrettable incident. Dame Essaîra défend les faibles et les opprimés tout en prêtant une grande attention à ses victimes. Ils sont morts sans souffrir.
Sa façon de compter pour rien des vies humaines amplifia la rage d’Onia. Dans un même ensemble, les deux figures rugirent un cri inhumain et projetèrent de leurs mains une onde d’énergie pure en direction de leur adversaire. L’homme n’eut que le temps de plonger au sol avant d’entendre une détonation sonore suivie d’innombrables cliquetis. Quand il se releva, ne restait de son trône que deux monceaux d’or fumant. Il eut cependant la satisfaction de voir le visage de la jeune femme se tordre de douleur, brûlée aux bras par deux rayons.
— Vous voyez, reprit-il d’un ton doucereux, autant que le permettaient les battements effrénés de son cœur, vous êtes en besoin urgent d’un mentor. Nourrie par vos humeurs sombres, vous êtes un danger pour quiconque croise votre route. Soumise à la puissance de la Dame, vous risquez de vous auto-détruire. Joignez-vous à moi et je vous apprendrai à maîtriser la puissance qui sommeille en vous. Quand vous en disposerez à votre guise, nous anéantirons un à un les centres d’enseignement et la paix reviendra enfin sur Edona.
Vaincue, Onia s’effondra au sol.
La colère qui l’avait soutenue jusque-là venait de disparaître comme elle était venue, la laissant vidée de ses forces. Sa vie partait en quenouille, elle n’avait plus ni racines, ni appui, ni demeure et se savait désormais en possession d’une force qui risquait à tout moment de la faire sombrer toujours plus vers les ténèbres. En prêtant allégeance à l’homme, elle bénéficierait d’une protection, d’un moyen de revanche et peut-être celui de se donner un nouveau but.
Le regard vide, comme ayant perdu toute volonté, elle tendit la main vers lui.
Triste fin, je la préférais rebelle plutôt que soumise...
RépondreSupprimerAhha ce n'est pas fini !!!
SupprimerOnia feint sans doute la soumission pour mieux résister à l'homme. Sera t-elle victorieuse au bout du compte ? On l'espère...quand on est une femme ! J'ai suivi avec beaucoup d'intérêt cette joute féroce et très bien écrite.
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