Au
début je parlais peu.
Et
ELLE encore moins, si ce n'étaient les “Oui et ensuite?”
que sa bouche carmin susurrait sournoisement dans mon dos quand
j'interrompais le grand déballage de mes lieux communs.
“Oui
et ensuite?”
Alors
j'ai raconté Germaine et ses deux greffiers angora qui foutent du
poil partout. J'ai raconté nos vacances d'été à Pornichet,
l'appart de l'avenue du Littoral, le casino Partouche et puis la
varicelle de notre neveu.
“Oui
et ensuite?”
Ensuite...
il s'était gratté et on avait remplacé les bains de mer par des
bains tièdes additionnés de farine d'avoine.
Allez
trouver de la farine d'avoine à Pornichet en plein mois d'Août !
ELLE
était dotée d'une patience infinie et de deux jambes interminables
qui finissaient au bord d'une micro-jupe moulante, des jambes qu'elle
croisait et décroisait avec un petit bruissement soyeux des plus
pernicieux.
Pendant
ce temps mon fauteuil durcissait comme moi, plus raide et plus
inconfortable à mesure que je m'épanchais.
“Oui
et ensuite?”
Ensuite
j'ai oublié la farine d'avoine pour raconter le bureau,
l'informatisation du fichier central, la scannérisation du stock,
les tickets restau et aussi cette improbable promotion obtenue dans
la douleur et qu'on appelle familièrement promotion-canapé.
Pour
l'heure le sien était fait d'un vieux cuir crevassé et malgré son
aspect fatigué par tant de fondements qui s'y étaient abandonnés,
j'étais sûr de gagner au change.
Mais
je devais le mériter - c'est ce qu'ELLE m'avait fait comprendre -
quand j'aurais abandonné sur son paillasson tout ce fatras qui
constituait mon 'Moi conscient' et qui m'empêchait de lâcher prise.
Lâcher
prise... c'est pourtant ce que j'avais fini par faire dans les bras
musclés de mademoiselle Gagnepain - Chef du service informatique à
la Conservation des Hypothèques - et je n'omis aucun détail des
dispositions de l'article L.123-1 du Code du Travail même si
les “Oui et ensuite?” avaient cessé et que ses
jambes interminables ne bougeaient plus.
Bizarrement
je n'avais pas honte de ce déballage, de cet indécent strip-tease
que j'exécutais juste pour ELLE dans l'intimité de son cabinet.
Habiter
deux étages au dessus de sa psychothérapeute peut présenter
quelque avantage mais aussi des inconvénients car j'y venais
maintenant chaque jour – sauf le samedi à cause du club de
scrabble et des courses à Leclerc avec Germaine – et je constatai
que je parlais moins du fait qu'ELLE parlait de plus en plus.
Certes
j'étais phobique, névrosé, limite parano mais bien moins qu'ELLE.
J'aurais
été tellement déçu de la savoir normale !
Je
me surpris même une fois, à lui lancer un “Oui et
ensuite?” qui ne l'offusqua aucunement.
Un
jour où j'arrivai en retard je butai devant sa porte sur un foutoir
qui s'avéra plus tard être son 'Moi conscient' à ELLE - c'est à
dire son 'Soi conscient' - bref, je réalisai en la trouvant alanguie
sur le canapé que j'étais enfin guéri.
Pour
me conforter dans cette idée, je la gratifiai d'un “Je
vous kiffe” qui acheva de la transformer.
ELLE
commençait à renouer avec son statut d'enfant et s'abandonnait sans
pudeur; c'est du moins ce qu'ELLE tenta de m'expliquer mais je ne
l'écoutais plus. L'enfant qu'ELLE était redevenue gardait ses
sublimes jambes et comme elle achevait de se débarrasser de tous ces
oripeaux qui n'étaient pas ELLE, je la surpris nue et en fis tout
autant.
N'allez
pas croire tout ce qu'on dit à propos du passage à l'acte entre un
psy et son patient, j'ai lu tant de choses sur les idylles de
divan... et ce jour-là il ne se passa rien sinon qu'il ne me restait
plus qu'à emménager chez Georges – elle s'appelait Georges – et
c'est ce que j'ai fait.
D'autres
que moi auraient fui mais Georges Sand n'était-elle pas d'abord une
femme? Même s'il en doutât au début de leur relation Chopin
pourrait en témoigner s'il était encore de ce monde.
“Oui
et ensuite” me
direz-vous “que
vient faire là, Chopin? Il serait interessant d'en parler”
Et
bien, parlons-en.
Georges
adore Chopin, ELLE en est folle et ne s'endort qu'avec la ritournelle
de sa nocturne en mi bémol majeur flottant au dessus de notre lit
rose.
Je
fais preuve à mon tour d'une patience infinie car je sais bien que
le jour viendra où ELLE cessera de m'appeler Papa.
Attention, père de psychiatre peut être déstabilisant ! :-)
RépondreSupprimerHélas ... ma belle-fille est psy et ça n'est pas toujours facile de la cerner !
SupprimerMais quel âge a cette Georges ? Bien plus jeune que Germaine je présume. Rien d'étonnant à ce qu'elle t'appelle "papa". Hum !
RépondreSupprimerPar ailleurs, j'ai lu que Georges posait un regard maternel sur Chopin. Alors... :-)
Germaine, ça serait plutôt la Chopine :)
SupprimerPsybillante, cette ELLE.
RépondreSupprimer:) :)
Supprimercertains disent que ces petits mots "oui et ensuite" sont des frustrations qui se rejouent pour que le "patient" apprennent à les dépasser... ben là, les bornes ont été dépassées. La frustration amènerait à des questionnements "limite parano" :)
RépondreSupprimerOui ... et ensuite ? :)
Supprimer