Cette fois c'est la fin des haricots ! Avec un « h » aspiré comme Bourvil quand il les chante. N'est ce pas Walrus ? Histrion. En lieu et place de haricot. Bon. Vous voulez que je vous parle de mon grand-père maternel Pascal-Etienne, c'est ça ? Un fameux histrion le bonhomme. Non. Ce n'est pas ce que vous croyez. Mon pépé n'était pas un fanfaron, un pitre. Si on avait dit ça à cet ancien poilu, il aurait immédiatement pris la mouche. Et on aurait vu ce qu'on aurait vu ! Pourtant il se la jouait un peu le grand-père avec son képi et son tambour. Un peu cabotin tout de même ! Mais oui Pascal-Etienne était garde champêtre de son état.
C'est beau cette appellation « garde champêtre » . Bucolique. Plein de poésie. Dans la catégorie serviteur de la République on pense immédiatement au sous-préfet aux champs de Daudet. Mais pépé n'était pas un poète ça non. Il était très sérieux et strict dans l'exercice de ses fonctions. Assermenté qu'il disait. Et bien sûr c'était la vérité. Chargé par le préfet et le maire de faire régner l'ordre dans la commune de ma naissance et de mon enfance.
Pourquoi donc ai-je pensé à lui en voyant la photo postée par notre ami ? Je l'ai tout de suite revu perché sur la pierre ronde et assez haute qui se trouvait sur la place de l'église, juste à gauche du porche. Je pense qu'elle avait été disposée à cet endroit exprès pour le garde comme on l'appelait. Peut être même que c'était lui qui en avait fait la demande. Pas beaucoup de sorties de ce temps. On allait à la messe le dimanche. C'était bien le seul moment où l'on trouvait un peu de distraction. Si l'on peut parler de distraction. Parce que souvent on avait droit aux sermons du curé.
Et à la sortie ? Le garde était là, sûr de lui et de ses pouvoirs pour vous en infliger un autre à sa manière. Il avait coiffé son képi, ajusté autour de son cou la lanière en cuir qui portait son tambour, accroché ses médailles à sa veste. Il fallait rappeler que ses fonctions de policier municipal avant l'heure il les devait à sa conduite exemplaire durant la guerre de 14/18. Bien placé pour ne rater personne, il surveillait du coin de l'œil que pas un citoyen, homme, femme ou enfants ne prenne le large. Surtout les enfants d'ailleurs. Quand tout le monde était tourné vers lui, pépé se saisissait de ses baguettes et frappait sur son tambour d'un air pénétré.
Avis à la population criait-il. Il déroulait alors son affichette et lisait les informations contenues. Elles concernaient principalement les affaires communales en cours, les décisions du conseil municipal et les manifestations à venir. Ensuite, il enroulait consciencieusement son papier et le remettait dans sa poche. Et c'est là que les garnements tentaient d'échapper à son regard perçant.
Après avoir accompli sa mission en français, il reprenait, afin d'être bien compris de tous le patois occitan pour faire part de ses griefs. Et ils ne manquaient pas. Sans jamais citer personne il faisait comprendre à certains qu'il ne fallait pas le prendre pour un imbécile parce qu'il pouvait sévir et dresser procès verbal. Ce qu'il ne faisait pas généralement mais attention de ne pas l'asticoter trop longtemps.
Ensuite, il descendait de son perchoir et s'approchait d'un pas décidé de la bande de polissons que nous étions, ses petits enfants y compris. Rien ne l'empêchait de tirer une oreille ou de nous abreuver de menaces. Évidemment, dès qu'il avait le dos tourné, les rires fusaient et les chansons de mal appris aussi. Mais pas trop fort.
Un drôle de boulot le travail de garde champêtre. Qui prenait beaucoup, beaucoup de temps à mon grand-père. Beaucoup trop de temps au goût de mes parents. De mon père surtout à qui il manquait des bras pour accomplir le travail de la ferme. En général, on venait le chercher à l'heure du repas de midi pour être sûr de le trouver à la maison et ne pas perdre l'occasion de boire un coup. C'était le plus souvent pour des querelles de voisinage : vaches mal gardées dont les dégâts étaient préjudiciables pour le plaignant, volailles soit disant volées etc. Il y avait aussi le bornage. Les bornes délimitant les terrains faisaient la plupart du temps l'objet des déplacements du garde à travers notre petite commune.
Pascal-Etienne, toujours fidèle à son serment enfourchait sans plus attendre sa bicyclette et on ne le revoyait pas de la journée. Quand il rentrait, il avait abandonné l'honneur dans son képi et l'avait remplacée par quelques verres de rouge ou de gnole. C'était un brave homme mais dans ces moments là il valait mieux qu'il aille se coucher pour éviter les débordements en paroles et en actions.
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