samedi 1 février 2025

Défi #858

   

Pincez les lèvres, soufflez, tirez, poussez :

 

Sacqueboute

 

 



Ont bien ratiociné (ou pas)

 

 


 


Walrus ; Marie Sylvie ; Vegas sur sarthe ; Yvanne ; Kate ;

99 dragons : exercices de style. 85, Lettre de refus d'éditeur (Joe Krapov)

 

 



Madame, Monsieur (rayer la mention inutile)


Nous vous remercions vivement de nous avoir confié votre tapuscrit. Nous l’avons étudié avec la plus grande attention. Malheureusement, malgré ses qualités, il ne nous a pas paru convenir à notre ligne éditoriale.


Nous regrettons donc de ne pouvoir en envisager la publication. En vous remerciant de votre confiance et en vous souhaitant d’aboutir dans votre démarche, nous vous prions de croire, Madame, Monsieur (rayer la mention inutile) à l’assurance de nos sentiments les meilleurs.


Le comité de lecture.


Monsieur


je me permets d’ajouter que la lecture de vos « 99 dragons : exercices de style » m’a passablement exaspérée. Passe encore qu’il y ait un plagiat éhonté et visible de l’ouvrage au titre presque similaire de Raymond Queneau. Vous me direz que le sujet n’est pas le même, que vous ne parlez nulle part dans votre œuvre d’autobus, de chapeau à ruban ou de bouton de pardessus. C’est vrai mais est-il raisonnable de penser que 99 déclinaisons de la fiche Wikipédia consacrée à Georges de Lydda pourraient avoir un intérêt quelconque pour un lecteur non féru d’histoire sainte et de littérature fantastique ?


Ce qui m’a le plus gênée, outre votre usage de gros mots comme paronomase, lipogramme, allographes ou apocope, c’est l’esprit anti-clérical et antimilitariste qui préside à chacune de vos variations. J’ai bien compris que nous sommes en 303, en Afrique et que ces braves nègres gens de couleurs ne sont pas encore assez entrés dans l’histoire pour avoir ne serait-ce qu’envisagé un instant un service militaire ou une défense nationale. Chaque fois que vous mentionnez l’existence des soldats libyens, c’est pour souligner leur lâcheté, leur couardise ou leur alcoolisme. Pour un peu vous nous ressortiriez l’adjudant Kronenbourg de ce voyou de Cabu !


Vous semblez regretter qu’un héros de la Chrétienté se mêle de cette histoire et triomphe du péril rencontré moyennant quelques petites compensations. Il me semble pourtant que, de tous temps, dans la réalité, des traités ont été signés et des accords conclus entre des puissances étrangères pour venir à bout d’un ennemi commun. Aurions-nous gagné la guerre de 14-45 sans l’aide efficace des Américains avec lesquels, de fait, nous ne partageons rien, en tout cas pas moi : je n’aime ni la country, ni la soul music, encore moins le rap et les hamburgers.


Croyez-vous que la Russie pourrait venir à bout des nazis ukrainiens sans l’aide de la Corée du Nord ? N’est-ce pas grâce au général Lafayette que les cow-boys d’Amérique ont battu les méchants migrants indiens qui ne faisaient rien qu’à faire tomber la pluie en dansant ? Que serait ce continent sans Christophe Colomb ? Que serait l’Amérique du Sud sans Fernando Cortés ?


N’avons-nous pas apporté, via la diffusion de notre langue et de notre religion aux peuplades arriérées de ces pays et de nos jolies colonies, les valeurs de la Civilisation et même celles de la République, que je respecte aussi, même si elles vous donnent la liberté de blasphémer et de moquer nos croyances et nos rites ?


Préférez vous que nous soyons envahis chaque jour un peu plus par les tenants d’une religion dont le nom commence par i et qui en est restée à la Saint-Barthélemy, à la lapidation de la femme adultère et qui n’hésite pas à abreuver ses sillons du sang impur de ses ennemis ?


Vous êtes pour la polygamie, c’est ça ?


Pour qu’il y ait reconquête, il faut que nous soyons tous rassemblés. Votre ouvrage de tournage en dérision du mythe de Saint-Georges ne participe pas, mais alors pas du tout à l’effort national et au réarmement démographique désormais nécessaires.


Je ne vois pas pourquoi je perds mon temps à ratiociner avec vous ce jour. Pour tout vous avouer, si je gribouille ces lignes sur la lettre type, c’est que j’espère bien, au fond de moi-même, que vos bêtises ne trouveront pas de lecteurs sensés qui y feront écho.


Nous ferons d’ailleurs tout pour cela lorsque nous aurons pris le pouvoir.


Je ne vous salue pas.




Marinette Maréchal-Nuwala, éditrice


Hervé a fini par énerver (Kate)

 

 

- Allô, Hervé ?
- ... Eh ?
- Toujours d'accord pour un ciné ?
- Mais à quelle heure c'est ?
- Dans une heure, tu le sais...
- Et où c'est ?

- Aux Ambiances,
c'est tout près...
- Ah ! Le cinéma d'art et essai ?

- Allez, je suis devant, je viens d'acheter les billets...
- Il faut marcher ?
- Un peu, on ne peut pas se garer,
c'est le secteur piétonnier.
Et il faut arriver à l'avance.
Allez, on va le rater !
- Il y aura de la publicité ?
- Qu'est-ce que j'en sais ?
- Et des WC ?
- Oui ! Et des chocolats glacés !
- C'est un film engagé ?
- Tu me fais marcher...
- Bon je vais voir sur AlloCiné...
- Tu vas pas arrêter de pinailler !
- Je vais aller me doucher.
- Bon, j'y vais
sans toi Hervé,
j'ai déjà trop tardé !
- Tu es énervée ?
- Non, mais à trop ratiociner
tu vas rater le ciné
et "Personne n'y comprend rien" !
- Tu m'expliqueras, hein ?
- Rien de rien !
Je ne veux plus fréquenter un martien.
- Hélène !
- Trouve-toi une martienne !

 

Clap de fin aux Fils d'Argent. (Yvanne)

 

Deux années ont passé. Madame Jolibois exerce toujours sa fonction de directrice aux Fils d'Argent.
Elle a obtenu qu'un directeur adjoint soit nommé pour la seconder dans ses tâches et tout se passe au mieux. Très moderne, celui-ci se fait appeler par son prénom  - plutôt les initiales de son prénom : JC. Tous les membres de la communauté l'aiment bien. Il est serviable, dévoué et arrangeant.
Cependant beaucoup de choses ont changé. La fidèle secrétaire Marguerite a pris sa retraite. Et elle manque beaucoup à tous. Si certains pensionnaires ont hélas disparu d'autres les ont remplacés, ceci de manière tout à fait inéluctable.

Madame Vieillefosse, bon pied, bon œil ne loge plus à la maison de retraite depuis peu. Tout le monde se souvient – surtout Madame Jolibois d'ailleurs – du jour où des travaux ont commencé tout à côté. Évidemment certains se sont offusqués : mais voyons donc, comment se fait-il que Madame Vieillefosse se permette cette intrusion dans le terrain à côté ? Est-elle devenue folle ? Il faut un acte de propriété pour... Il faut un certificat d'urbanisme pour...Il faut un permis de construire pour...Il faut ci, il faut ça ! On ne peut pas... On ne doit pas...Et je ne sais quoi encore !

Eh bien tout le monde a fini de ratiociner quand on a appris que Madame Vieillefosse née Blanche de la Barbe avait hérité de tous les terrains avoisinant la maison de retraite (et pan sur le bec !) Même de celui où est implanté cette dernière. Même la maison lui appartenait en propre. C'est ce que Madame Jolibois a découvert en faisant quelques recherches. La bâtisse, une grosse maison bourgeoise à laquelle ont été greffées deux ailes était propriété de la famille de la Barbe, parentèle de Madame Vieillefosse. Elle avait été acquise par la municipalité il y a quelques années, vendue par Madame Vieillefosse pour éponger les dettes de son époux d'alors, un vaurien ivrogne et fainéant. Bien entendu, la vieille dame ne se vantait pas de cela.

Contrairement à ce qu'avait affirmé son gendre le sous-préfet, sa belle-mère n'avait donc acheté aucun terrain et ce n'était pas une salle de bal qu'elle voulait faire construire mais bien une maisonnette de plein pied pour être proche de la maison de retraite en cas de besoin. Personne ne peut y trouver à redire et je crois que le sous-préfet s'était un peu moqué de Madame Jolibois le jour de leur entretien téléphonique.

Aujourd'hui la maison de retraite bruisse comme une ruche. Les pensionnaires font d'incessantes allées-venues entre la résidence et la nouvelle habitation de Madame Vieillefosse. Certains portent de lourds plats chargés de petits fours, d'autres poussent des chariots remplis de glacières où tintent bouteilles de champagne et jus de fruit. Un livreur dépose des bouquets de roses rouges sur la belle terrasse où l'on a installé de longues tables recouvertes de nappes blanches brodées au chiffre de la propriétaire des lieux. On rit. On s'interpelle en ce beau jour d'été. Des résidents férus de musique ont formé un petit orchestre. C'est la fête.

Une grosse voiture s'arrête. C'est la mercedes de Monsieur Patrick Vertich. Il descend et galamment ouvre la portière à son épouse Blanche. Lui, en élégant costume trois pièces noir et nœud papillon parme assorti à la tenue de sa femme resplendissante en longue robe mauve pâle. Les jeunes mariés reviennent de la mairie où ils ont échangé leurs vœux en présence de leurs témoins Madame Jolibois et le nouveau directeur JC.

Après un après midi où chacun s'est congratulé, amusé, sustenté, où des souhaits de bonheur ont été formulés gaiement à l'égard des nouveaux époux, on regagne la maison de retraite toute proche qui à pied en titubant un peu, qui en fauteuil roulant ou avec déambulateur.

Soulagés de se retrouver enfin seuls, les mariés apposent en riant une plaque dorée sur leur porte où l'on peut lire « chez Pat'Blanche » allusion à leurs prénoms respectifs mais aussi avertissement signifiant qu'on ne peut pas déranger trop souvent.




Insomnie (Vegas sur sarthe)

 


C'était toujours ainsi à chaque veille d'intronisation Félix ne dormait pas.

Demain il y aurait un banquet, un de plus, une réception en l'honneur des Chevaliers du Pignon Fixe, des pédaleurs assoiffés qu'il lui faudrait arroser au cassis-champagne avant d'être adoubés en grande pompe à vélo !

Crévindiou !

Chaque insomnie l'entraînait irrémédiablement à la cave où – coiffé de son bonnet de nuit et le nez chaussé d'une des nombreuses paires de lunettes qu'il abandonnait ça et là – il refaisait son inventaire.

Il est des régions de France où on peut tout à la fois être chanoine, maire d'une grande ville et amateur de bon vin sans défrayer la chronique.

Il se disait que sa mairie était le plus grand débit de boissons de la Ville mais il préférait ça à la sombre rumeur de pédophilie qui sourdait et qui éclaterait au grand jour un siècle plus tard.

Il en avait rincé des gosiers entre associations de tous poils, clubs sportifs, hommes politiques, vedettes sans compter cette jeunesse dont on voyait « rougir la trogne », qui roulait sous la table et confondait Saint Vincent tournante et partouze...

Du coup sa pile de champagne était encore descendue d'un bon mètre.

Etait-ce un effet divin ou bien la buée sur ses verres, il buta sur une caisse d'aligoté, écrasant à la fois son gros orteil et un juron où figurait le Bon Dieu.

Un éclair fulgurant illumina la voûte sombre au point qu'il tomba à genoux, serrant « religieusement » sa bouteille de crème de cassis de Dijon à 20 degrés.

La main divine guidait sa main aussi le premier bouchon d'aligoté sauta t-il joyeusement.

Un quart de cassis, trois quarts d'aligoté... non... trop acide pensa t-il en faisant claquer cette langue qu'il avait aussi souple que bien pendue.

N'avait-il pas répondu récemment à celui qui lui reprochait de croire en Dieu sans jamais l'avoir vu « Mon cul, tu l'as pas vu et pourtant il existe ! »

(Anecdote certifiée ou pas)


Un tiers de cassis, trois tiers d'aligoté... non... quatre tiers, c'était un sacrilège, un affront aux lois de la mathématique !

Un deuxième bouchon sauta, embuant un peu plus ses verres de lunettes.

Un tiers de cassis, deux tiers d'aligoté... Son « Nom de Dieu » résonna sous la voûte ancestrale.

Il tenait l'accord parfait, ni trop acide ni trop sucré, une potion qui allait ravir les palais les plus retors.

Il s'en resservit un verre avec les mêmes exactes proportions, pour être certain.

A quoi bon ratiociner en pleine Création ?

Le Tout Puissant avait-il autant joui en créant ses deux premiers bipèdes ?

Il tenait là le petit Jésus en culotte de velours, n'en déplaise au très Haut.

Demain à l'heure de l'intronisation, les amoureux de la petite reine chercheraient les bulles dans leur traditionnel blanc-cass ; il seraient les premiers à déguster son... comment l'appellerait-il ?

Kir... comme lui... un Kir


LES CICATRICES DU DEVOIR (Marie Sylvie)

   

Le mot, ce verbe ratiociner,  me rappelle l'époque où j'enseignais dans un lycée de Le Mans. Mes élèves m'accusaient souvent de trop argumenter, confondant mes explications détaillées avec celles destinées à des élèves de CP.
Mais n'était-ce pas mon rôle de les instruire soigneusement pour bâtir leur avenir ?
L'enseignement théorique est une chose, la mise en pratique en est une autre.
Il paraît bien plus facile d'analyser des situations sur le terrain plutôt que depuis son pupitre. 
Je discutais longuement avec mes élèves pour m'assurer que chacun d'entre eux avait bien assimilé mes explications. 

Un jour, je me suis adressée à une élève encore une fois en retard pour tenter de la raisonner.
Mon avenir était tracé mais le sien dépendait de ses actes d'aujourd'hui. 
Soudain, elle a sorti son cutter et, avec une violence incroyable, elle a commencé à me taillader les avant-bras.
À ses yeux, rien n'était acquis et il fallait continuellement se battre pour conserver ce que l'on possédait. 

Un agent d'entretien est intervenu. 
L'élève a été exclue mais ma responsable n'a pas voulu que je porte plainte par soucis de réputation. 
Ce qu'elle ignorait c'est que je n'aurais pas déposé une plainte, ne voulant pas troubler encore plus l'avenir de cette élève mais j'aurais sollicité qu'elle se fasse aider .
L'ironie sombre et poignante  de ce témoignage réside dans le fait que le lycée était situé entre le commissariat principal et le groupement de gendarmerie. 
Je garde mes cicatrices encore visibles aujourd'hui comme un rappel :
Je voulais forger des destinées et non pas blesser la mienne. 

À présent, lorsque je regarde ces cicatrices, je ne peux m'empêcher de ratiociner sur ce qui aurait pu être fait autrement. 
Je me questionne sur les décisions prises, sur les paroles prononcées et sur les actions qui auraient pu changer le cours des événements.
Mais malgré tout, je sais que chaque choix, chaque réflexion, chaque tentative de comprendre et d'aider, faisait partie de mon devoir d'enseignante. 
C'est cette quête incessante de sens et de compréhension, ce besoin de rechercher à analyser, argumenter et  réfléchir , qui m'a guidée tout au long de ma carrière. 


Une brève à la demande (implicite) de mon neveu Joe (Walrus)

   

Une question revient régulièrement dans les médias :

" Peut-on rire de tout ? "

On ne me fera pas ratiociner là-dessus :

" Il faut rire de tout ! "

 

Défi #858

    Pincez les lèvres, soufflez, tirez, poussez :   Sacqueboute